T' comme Terminus

L'Abécédaire |

N'ayant peur de rien, surtout pas du mauvais goût et des nanars, l'Abécédaire rend un hommage tardif à Johnny Halliday en se replongeant dans Terminus, film de science-fiction français de Pierre-William Glenn, pâle succédané de Mad Max et Running Man

Terminus, Pierre-William Glenn (1987). 107 minutes, couleurs.

Mine de rien, feu notre Johnny Holliday national a joué dans deux films s’apparentant de près ou de moins près aux mauvais genres. Voilà qui mérite bien un petit hommage. Le deuxième de ces deux films est Jean-Philippe (2006), œuvre signée Laurent Tuel et relevant à sa manière de l’uchronie. Le premier, objet de ce billet, est Terminus, un film surtout apprécié des amateurs de nanards – ce qui n’a rien d’exagéré (mais n’anticipons pas). Il s’agit là du deuxième long-métrage de Pierre-William Glenn, cinéaste français assez méconnu, réalisateur peu prolifique, et qui a essentiellement œuvré comme chef-opérateur au long de sa carrière.

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Une voix off explique qu’à la fin des années 80 fut mis en place un jeu : un camion doit rejoindre un lieu, le Terminus. Le chauffeur en ignore la localisation, mais le véhicule est doté d’une IA perfectionnée. À mesure que le camion approche de sa destination, davantage de véhicules adverses blindés – les Gris – entre dans le jeu. Cela vous semble trop simple ? Compliquons la chose… avec des enjeux occultes qui ne seront dévoilés que progressivement.

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Lorsque le film débute, une berline noire pénètre dans un château et accède au sous-sol – l’archétype de la base secrète souterraine. À bord de la voiture, un garçonnet blondinet – Mati – et un docteur. Il ne faut pas se fier au jeune âge de Mati : le gamin (insupportable), véritable petit génie, a programmé l’IA du camion. Néanmoins, il ignore une poignée de choses cruciales – sur sa propre nature, en particulier. Quant au bon docteur, il est lui-même soumis à l’autorité d’un supérieur mystérieux, dont le visage lui demeure inconnu.

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Mati a bon espoir que le camion parvienne cette fois à destination : n’a-t-il pas amélioré l’IA ? Celle-ci, nommée Monstre, consiste en… une bouche artificielle, fixée sur l’imposant tableau de bord du non moins imposant véhicule. Monstre – désignons ainsi l’IA et le camion – est piloté par Gus, une jeune femme volontaire. Las ! après une défaillance inattendue de Monstre, le véhicule emprunte un itinéraire non prévu, est arrêté par une bande de zonards, et Gus est faite prisonnière. Elle reprend conscience dans une cellule de prison, où croupit un homme : Manchot (Johnny !), ainsi surnommé parce que sa main gauche est une fruste prothèse métallique. Johnny Manchot et Gus n’ont pas le temps de tomber amoureux : la jeune femme est torturée par le commandant du camp, et laissée pour morte. Elle a néanmoins le temps de transmettre le mot de passe de Monstre à Manchot, par l’intermédiaire d’une fillette taciturne, Princesse. Débute alors pour Monstre, Manchot et Princesse une odyssée tortueuse en direction de Terminus…

Alors, oui, Terminus est plein de défauts. Le film est un peu trop long et suscite l’ennui par moment, au fil d’une histoire assez confuse ; quelques rares effets spéciaux ont mal vieilli, tout comme les rares CGI ; Karen Allen (Marion dans Les Aventuriers de l ’Arche perdue) semble se demander ce qu’elle fiche là, Julie Glenn (Princesse) ne sait jouer que la gamine maussade ; le doublage est souvent raté (c’est flagrant dans le cas de Mati). Sorti en 1987 (janvier), soit la même année que RoboCop (juillet) et Running Man (novembre), c’est-à-dire cinq ans après Blade Runner, six ans après Mad Max, dix ans après Alien, ce film fait assez pâle figure et montre un cinéma français de genre passablement en retard par rapport à ce qui se produisait dans le monde anglo-saxon. Ce Terminus forme un succédané de chacun des films évoqués, en plus superficiel et moins réussi. Pour autant, il s’avère loin d’être une sombre bouse ne méritant que l’oubli, et recèle quelques aspects méritant l’attention.

Le scénario est co-signé par le réalisateur et Patrice Duvic – romancier, essayiste et anthologiste, pour qui la science-fiction n’était pas une langue étrangère. De fait, le film contient quelques clins d’œil que les amateurs reconnaîtront d’emblée (la plaque d’immatriculation de la berline est « PK DICK » ; la barrière au motif rappelant l'hexagramme 21 du Yi-King est peut-être une autre référence dickienne (Le Maître du Haut-Château)  on aperçoit une fresque d’Enki Bilal sur un mur).

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Dommage que le scénario reste confus et inabouti (quelle utilité pour le jeu ? pourquoi un camion furtif poursuivant Monstre ? quel contexte extérieur ?). Néanmoins, le film aborde plusieurs thèmes classiques du genre. En premier lieu, la question de l’intelligence artificielle : le bien-nommé Monstre, à qui Manchot dénie toute humanité dans un premier temps. La séquence de la réparation de Monstre constitue d’ailleurs l’un des meilleurs moments de Terminus, dans son ambiance flottante. Autre thème majeur : les expériences génétiques, dont Mati (léger spoiler) n’est qu’un avatar. Rien de renversant ou de novateur, mais ça passe.

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En termes d’esthétique, Terminus ne brille pas vraiment : la photographie est relative terne, les décors ne présentent guère d’intérêt — à moins qu’il s’agisse là d’un parti pris, destiné à nous plonger dans une Europe future sans limite, à la fois fragmentée mais uniforme (ce qui me fait penser à l’intéressant Europe in Autumn de Dave Hutchinson). Là où le film tire son épingle du jeu, c’est avec Monstre et son apparence… assez monstrueuse. Cette bouche articulée par des pincettes, avec sa voix gentiment insupportable et son humour débile, également sujette à des cauchemars, s’avère la bonne surprise du film. On restera plus dubitatif quant au camion : franchement, un véhicule aussi haut (4 mètres ?) se retrouve avec un centre de gravité si haut placé que c’est un miracle qu’il ne se renverse pas à la moindre cascade.

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Enfin et surtout, il y a donc notre Johnny national, qui s’en sort plutôt pas mal, avec sa dégaine en jean, sa chevelure peroxydée et son personnage adepte du franc-parler. Pas de surjeu : sa composition reste plutôt sobre. Que ce soit dans Jean-Philippe, Terminus ou d’autres œuvres de sa filmographie, le bonhomme – quel que soit l’amour qu’on lui porte – montre qu’il sait faire autre chose que chanter.

Pour peu que l’on s’arme d’une bonne dose d’indulgence, Terminus vaut le coup d’œil, à la fois comme exemple un peu foireux du cinéma de SF français et comme curiosité pour cinéphile.

Introuvable : en DVD d’occase hors de prix ou par d’autres biais
Irregardable : oui mais non
Inoubliable : ah que non

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