Journal d'un homme des bois, 28 janvier 2012

Journal d'un homme des bois |

valery-jhb-une.jpg« Virée à Bordeaux, centre-ville. J’ai l’impression qu’il y a des Bouddhas dans toutes les vitrines des magasins "branchouilles" – quoi qu’ils aient à vendre, d’ailleurs. Je repère un immense magasin de produits "bio" entre le cours Alsace-Lorraine et la rue des Ayres – il y a quelques années, il y avait là une galerie de meubles et d’articles de décoration "design" (en français : que des trucs plus ou moins laids, le plus souvent en plastique ou en matériaux non identifiables, ni pratiques ni confortables puisque conçus par des gens qui ne s’en servent pas, vendus la peau des fesses)… »

Virée à Bordeaux, centre-ville. J’ai l’impression qu’il y a des Bouddhas dans toutes les vitrines des magasins "branchouilles" – quoi qu’ils aient à vendre, d’ailleurs. Je repère un immense magasin de produits "bio" entre le cours Alsace-Lorraine et la rue des Ayres – il y a quelques années, il y avait là une galerie de meubles et d’articles de décoration "design" (en français : que des trucs plus ou moins laids, le plus souvent en plastique ou en matériaux non identifiables, ni pratiques ni confortables puisque conçus par des gens qui ne s’en servent pas, vendus la peau des fesses). Visite d’exploration dans ce temple du nouveau mode de vie de ceux qui en ont les moyens – qui débouche tout de même sur des vraies courses, puisqu’au milieu de produits aussi inutiles que coûteux je trouve tout de même quelques bricoles de première nécessité à des prix normaux, genre sachets de soupe à l’ortie, tofu, pain, pâté végétal. Au moment de payer, je constate horrifié qu’il n’y a qu’une seule caisse en service – alors que plusieurs employés brandouillent je ne sais quoi dans le fond du magasin – et que… vingt-sept personnes attendent, bien sagement, en une jolie courbe qui se déploie dans l’espace. Mais comment peut-on accepter d’être ainsi traité ? Il faut vraiment être un crétin de bobo du centre-ville pour trouver normal – les petits sourires des uns et des autres me donnent à penser que, oui, ils trouvent cela tout à fait normal – d’être ainsi méprisé ! Ces gens sont dans un magasin où la plupart des produits sont hors-de-prix et où la direction pourrait à l’évidence faire ouvrir la deuxième caisse, et ils attendent, sourire aux lèvres – peut-être en récitant des mantras, qui sait ? Je remet tout soigneusement en place dans les divers rayons – je ne suis pas un sauvage et le personnel n’est pas responsable de la situation – et nous partons. Dans la rue, le spectacle des hordes barbares achève de m’achever. Tout cela est bien au-delà de ma capacité à adopter une attitude compassionnelle et j’en suis mortifié. Mais comment déceler la nature de Bouddha dans ce monde partagé entre les forcenés égocentriques et les pseudo-babas pétés de thunes de cette mouvance écolo-bouddhiste de pacotille, qui n’est qu’une forme d’auto-lobotomie ? Je n’y arrive pas. Tout cela est affligeant. Tout cela est terrifiant. De retour chez nous, alors que je passe près de la chaise sur laquelle dort Nougat, le chat d’Anita, celui-ci se dresse soudain et me fait comprendre qu’il veut que je le caresse ; je me penche et il se met à me donner des coups de langue dans ma barbe d’homme des bois, avant de m’attraper le bras entre ses pattes pour que je continue de le caresser. Et tout aussi soudain, j’ai la vision de la nature de Bouddha dans cet animal, je sens pulser la parcelle de conscience qui l’anime et qui est reliée à celle qui m’anime. Et je me dis qu’il est à l’évidence plus proche de l’Éveil que beaucoup d’êtres humains. Décidément, la vie en ville n’est pas faite pour moi !

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