Ascenseur vers l'espace

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« Vous descendez à quel étage ? » Un jour, la réponse à cette question se chiffrera peut-être en milliers de kilomètres. Monter dans les étoiles à peu de frais, aussi facilement que l'on traverse l'Atlantique ? Ce serait possible en théorie grâce à l'ascenseur spatial. Imaginé dans les années 50, popularisé à la fin des années 70 par Arthur C. Clarke, le concept fait rêver, mais sa réalisation s'est toujours heurté à l'inexistence d'un matériau suffisamment solide pour le soutenir. Aujourd'hui, l'apparition des nanotubes de carbones lui redonne une certaine crédibilité. Alors, comment on construit un ascenseur spatial ? Enfilez vos bottes et votre casque de chantier, réglez le thermostat du four solaire sur 3000°, le professeur Lehoucq vous emmène au septième ciel...

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Cet article a précédemment été publié dans le Bifrost n°21, paru en novembre 1999 et dans le livre SF, la science mène l'enquête, paru en 2007 et toujours disponible aux éditions Le Pommier.

« Bienvenue à bord de l’ascenseur spatial ! Nous ferons notre premier arrêt au niveau lunaire avant de poursuivre vers la colonie orbitale géostationnaire. Pendant notre ascension, qui devrait durer environ 12 heures, regardez bien par les hublots l’extraordinaire spectacle qui s’offrira à vous. Veuillez maintenant attacher vos ceintures et bon voyage ! ».

Vous pourriez bien entendre ce discours d’ici quelques dizaines d’années. La très sérieuse agence spatiale américaine, la NASA, a publié plusieurs épais rapports décrivant un projet que l’on pourrait penser exclusivement réservé au domaine de la science-fiction. Il s’agit ni plus ni moins que d’étudier la réalisation d’une gigantesque autoroute verticale reliant le sol à l’espace. Cette idée n’est pas neuve puisque, dans la Génèse, Jacob rêve d’une immense échelle permettant de grimper jusqu’aux cieux. Sans remonter jusqu’à ce témoignage biblique, les amateurs avertis auront reconnu dans cette proposition de la NASA l’ascenseur spatial qu’Arthur C. Clarke décrit dans son roman « Les fontaines du paradis » qui reçu les prix Hugo et Nebula en 1980. Mais, si Clarke a fortement contribué à la popularisation de cette idée merveilleuse, il faut remonter à l’un des pères fondateurs de l’astronautique, l’ingénieur russe Constantin Tsiolkovski pour la voir apparaître. Tsiolkovski publia en 1895 un article intitulé « Rêves de la Terre et de l’espace » dans lequel il décrivait plusieurs moyens propres à s’échapper de l’attraction terrestre pour aller dans l’espace. L’un de ses projets les plus fou consistait tout simplement à s’élancer d’une gigantesque tour haute de 36 000 kilomètres ! Mais c’est un autre russe, Yuri Artsutanov, qui, en 1960, améliora l’idée en remplaçant la tour par un câble suspendu depuis l’espace et en suggérant d’utiliser un dispositif similaire à une cabine d’ascenseur pour expédier des charges en orbite autour de la Terre : le concept d’ascenseur spatial était né. Les travaux russes restèrent assez confidentiels et l’idée fut redécouverte indépendamment en 1975 par l’ingénieur américain Jérôme Pearson dont les travaux inspirèrent le roman de Clarke. Tout l’intérêt d’un ascenseur spatial réside dans la facilité d’accès qu’il donne à l’espace proche, rendant sa colonisation infiniment plus aisée. Actuellement la mise en orbite d’un kilogramme coûte environ 20 000 dollars (et un peu moins d’euros). Avec un ascenseur spatial ce coût pourrait chuter un peu au dessus d’un euro par kilogramme, ce qui mettrait le tarif de votre ascension à environ 100 euros. A ce prix, plus d’hésitation ! Il faut passer un week-end en orbite !

Grimpons, grimpons, grimpons encore…

Aller dans l’espace est difficile parce que la gravité terrestre nous attire vers le centre de la Terre. C’est d’elle que résulte la sensation de poids qui nous plaque au sol. La gravité diminue avec l’altitude car la force d’attraction gravitationnelle entre deux corps diminue comme le carré de leur distance : une distance deux fois plus grande donne une force quatre fois moins intense. Ainsi, au sommet du mont Everest, qui culmine 8 848 mètres, l’attraction terrestre est légèrement plus faible qu’au niveau de la mer (d’environ 0,3 %) puisque la distance au centre de la Terre y est (un peu) plus grande. Une autre force tend à éjecter toute chose du plancher des vaches car la Terre tourne sur elle comme un manège, au rythme d’un tour toute les 23 heures et 56 minutes. Cette force centrifuge est proportionnelle à la distance à l’axe de rotation de la Terre : elle est donc maximale à l’équateur et nulle aux pôles. Elle se combine avec l’attraction gravitationnelle de la Terre, ce qui explique que notre planète n’ait pas une forme parfaitement sphérique mais légèrement aplatie aux pôles, comme une sorte de pamplemousse géant. Finalement, la gravité apparente au sommet d’un édifice construit sur l’équateur, somme de l’attraction terrestre (dirigée vers le centre de la Terre) et de la force centrifuge (dirigée vers l'espace), diminue avec l’altitude non seulement parce que l’attraction terrestre diminue mais aussi parce que la force centrifuge augmente. La gravité apparente s’annule à l’altitude pour laquelle la force centrifuge compense exactement l’attraction gravitationnelle ce qui, pour la Terre, se produit au sommet d’une tour d’environ 36 000 kilomètres de hauteur. Cette valeur dépend évidemment des caractéristiques de la planète et est d’autant plus petite que la planète est peu massive (car son champ gravitationnel est plus faible) et qu’elle tourne vite sur elle-même (la force centrifuge est plus forte). Notons qu’une tour de 36 000 kilomètres de hauteur n’est pas indispensable pour accéder à l’espace proche qui n’est finalement pas si loin : une bonne centaine de kilomètres vers le haut…

Décrivons enfin les effets ressentis lors de l’ascension d’une tour de Tsiolkovski. D’abord, la gravité apparente diminue régulièrement tout en restant dirigée vers le centre de la Terre : la sensation de poids diminue. À 36 000 kilomètres d’altitude la gravité apparente s’annule, c’est l’impesanteur bien connu des astronautes ; en poursuivant, la gravité réapparaît mais dirigée en sens contraire ! Cela se comprend facilement en réalisant que désormais la force centrifuge est supérieure à l’attraction gravitationnelle terrestre donnant une sensation de poids dont le sens est inversé : le "bas" est dirigé vers l'espace et le "haut" vers le centre de la Terre.

Une tour Eiffel vers le ciel…

Serions-nous capables de construire un édifice aussi haut que la tour de Tsiolkovski ? Actuellement la plus haute structure humaine est une antenne de télévision maintenue par des câbles, construite près de Fargo dans le Dakota du nord, qui mesure 629 mètres de haut. Mais le plus haut bâtiment jamais construit est la CN Tower de Toronto. Son sommet culmine à 553 mètres de haut et elle pèse plus de 300 000 tonnes. Plusieurs projets sont en cours, notamment une tour de plus de 700 mètres de hauteurNote du rédac-chef' :
Achevée en janvier 2010, la « Burj Khalifa » (image à droite) est aujourd'hui la construction humaine la plus haute du monde, culminant à 828 mètres de haut... il reste du chemin à faire !
en construction à Dubaï. La hauteur d’un édifice est limitée, entre autre, par sa capacité à supporter son propre poids (Note : Il existe bien sûr de nombreuses autres contraintes, comme par exemple la résistance à la flexion induite par le vent ou les difficultés à transporter les personnes dans un bâtiment de très grande hauteur). Ainsi, la base de la tour doit résister à la formidable pression due au poids de toute la structure qui la coiffe : un matériau à la fois résistant et léger permet de construire de hautes tours. L’acier courant autorise, en théorie, une hauteur maximum de 5 kilomètres tandis que l’aluminium, trois fois moins dense que l’acier et presque aussi résistant, permettrait d’atteindre une quinzaine de kilomètres. Remarquez que la nature fait aussi bien avec le mont Everest dont l’altitude est voisine du maximum autorisé par la résistance des roches. Le problème des métaux, bien qu’ils soient plutôt résistants, c’est qu’ils sont denses. C’est ce paramètre qui limite leur intérêt. D’autres matériaux sont plus résistants et plus légers que l’acier ou l’aluminium. Ainsi, une tour cylindrique construite en fibre de carbone pourrait atteindre la hauteur faramineuse de 114 kilomètres avant de s’effondrer sous son poids ! N’essayons pas de calculer le prix de la construction…

Pour atteindre des hauteurs encore plus importantes tout en améliorant les propriétés structurales de l’édifice il faut aussi jouer avec sa forme : en lui donnant un diamètre plus grand à la base qu’au sommet le poids des parties supérieures est réparti sur une surface plus grande ce qui diminue la pression subie par les parties inférieures. Le calcul montre qu’il est possible de construire un édifice de n’importe quelle hauteur pourvu que sa base soit suffisamment large. Le seul problème, parfaitement illustré par la silhouette de notre célèbre tour Eiffel, c’est que la surface de la base augmente très vite avec la hauteur de la tour : une tour d’acier de 100 kilomètres de hauteur et dont le diamètre au sommet est de 10 mètres doit avoir une base de 220 kilomètres de diamètre !

…ou un câble suspendu

Pourquoi diable Tsiolkovski a-t-il proposé que sa tour fasse exactement 36 000 kilomètres de haut ? Pour répondre à cette question il faut savoir que le temps qu’un satellite met pour boucler une orbite, sa période, augmente avec son altitude. Elle atteint 23 h 56 m précisément pour une orbite située à 36 000 kilomètres d’altitude. Un satellite situé sur cette orbite tourne donc au même rythme que la Terre et reste toujours à l’aplomb du même lieu de la surface terrestre : il est dit géostationnaire. La tour de Tsiolkovski est donc particulièrement adaptée à la mise en orbite de satellite géostationnaire puisqu’il suffit de les lâcher dans l’espace depuis son sommet ! De plus, envoyer une sonde interplanétaire depuis le sommet est beaucoup moins coûteux en énergie que depuis le sol car à cette altitude la vitesse à atteindre pour se libérer de la gravité terrestre est égale au deux-cinquième de celle au niveau de la mer.

La particularité de l’orbite géostationnaire suggère une autre façon de relier le sol et l’espace : il suffit d’y laisser pendre un câble. Il restera toujours à l’aplomb du même point de la surface terrestre d’où l’on pourra construire une base de départ d’ascenseurs qui escaladeront le câble. Comme pour la tour cosmique, le câble doit être capable de supporter son propre poids en n’oubliant pas que, cette fois ci, l’effort de compression de la tour est remplacé par une traction. Et là encore, l’effet de l’altitude va arranger les choses puisque la gravité apparente diminue en s’éloignant de la Terre. Ainsi, si l’on ramène par le calcul la gravité apparente (différence entre la gravité réelle et la force centrifuge) qui dépend de l’altitude à celle qui règne au niveau de la mer il suffit de choisir un matériau dont la résistance lui permette de supporter une longueur de 4 960 kilomètres sous une gravité terrestre uniforme et constante.

Le choix de la matière

Existe-t-il des matériaux pouvant supporter une telle contrainte ? En traction, les métaux ne se sont guère meilleurs qu’en compression. Un câble fait du meilleur acier se rompt irrémédiablement quand sa longueur suspendue dans une gravité terrestre dépasse 50 kilomètres. Une fibre synthétique comme le Kevlar peut supporter 200 kilomètres avant de se briser. Cette longueur de rupture est donc une quantité critique dans le choix du matériau dont sera fait le câble. Mais un câble en suspension peut supporter une longueur bien plus grande que sa longueur de rupture. Comme pour une tour, il suffit que son diamètre ne soit pas constant. Imaginons un câble cylindrique juste assez résistant pour supporter 100 kilomètres de longueur en suspension ; un centimètre de plus suffit à le rompre. Coupons le en deux brins de même longueurs. Assemblés, ces deux brins peuvent supporter une longueur supplémentaire de 100 kilomètres (50 chacun) faite dans le câble cylindrique initial. Cela permet alors de couvrir une distance verticale de 150 kilomètres avec un matériau dont la longueur de rupture ne vaut que 100 kilomètres. Ce processus d’assemblage de brins peut être répété autant de fois que nécessaire pour obtenir la longueur souhaitée. Si le câble était fabriqué avec les fibres synthétiques les plus résistantes dont nous disposons actuellement, le diamètre du câble devrait être de 2 kilomètres au niveau de l’orbite géostationnaire pour finir à 1 millimètre au niveau du sol ! Sa masse de 60 000 milliards de tonnes serait comparable à celle d’un astéroïde de taille respectable…

Un nouveau matériau, les nanotubes de carbone, pourrait peut-être faire l’affaire. Il s’agit d’un assemblage d’atomes de carbone en forme de tube et dont le diamètre, environ 10 000 fois plus fin qu’un cheveu, ne vaut que quelques milliardièmes de mètre. Ces nanotubes, de faible densité et dont la résistance est près de 100 fois supérieure à celle de l’acier, ont une longueur de rupture voisine de 5 000 kilomètres. Leur supériorité devient évidente quand on calcule qu’un fil quasi cylindrique de 0,2 millimètre de diamètre et pesant à peu près 10 tonnes suffirait à relier le sol et l’orbite géostationnaire. Seul inconvénient la production actuelle de nanotubes de carbone est modeste au regard des quantités nécessaires à la construction d’un ascenseur spatial et les longueurs atteintes n’excèdent pas quelques dizaines de centimètres. Comme quoi chimistes et physiciens des matériaux ont encore du pain sur la planche…

Ancre cosmique

Comment déployer le câble depuis l’espace ? La réponse semble simple : il suffit de dérouler une bobine préalablement mise en orbite géostationnaire. On imagine facilement qu’il faut d’abord envoyer un fil très fin, facile à guider dans la phase finale d’approche. Une fois ce guide établi, des robots grimpeurs feront des allers-retours pour tirer de nouveau filaments et épaissir le câble principal. Cette opération n’est évidemment pas aussi simple qu’elle en a l’air à cause de la précision requise pour atteindre le point équatorial situé juste sous l’extrémité de départ et gênée par les phénomènes atmosphériques tels que la résistance de l’air, le vent, etc.

Mais il y a un autre problème. La partie basse du câble, encore liée au mouvement de la bobine, n’orbite pas assez vite pour être à l’équilibre ! L’attraction terrestre dépasse la force centrifuge due à son mouvement de rotation autour de la Terre. Conséquence : le câble est irrémédiablement tiré vers la Terre et ne peut maintenir sa position initiale. Pour pallier ce problème, il suffit de déployer le câble simultanément dans deux directions opposées, c’est-à-dire vers la Terre et vers l’espace. Dans ce cas, l’astuce consiste à ce que la partie supérieure du câble « retienne » la partie inférieure. En effet, la première, orbite trop vite pour être en équilibre : la force centrifuge, supérieure à l’attraction terrestre, a donc tendance à l’éloigner de la Terre. Pour équilibrer le poids de la partie descendant vers le sol et, une fois installé, pour compenser la réaction due à l’ascension des charges le câble doit s’étendre bien au-delà de l’orbite géostationnaire. Cette partie supérieure peut être vue comme la masse qui tend notre fronde cosmique entraînée dans la rotation terrestre de 23 h 56 m. Pour que l’équilibre soit préservé, il faut que cette partie supérieure atteigne l’altitude faramineuse de 144 000 kilomètres, plus du tiers de la distance Terre-Lune, 12 fois la longueur du réseau autoroutier français ! Une forte masse placée à une altitude plus raisonnable pourrait aussi servir d’« ancre ». Plus le câble est court, plus la masse du contrepoids doit être importante. Pourquoi pas capturer un astéroïde dans ce but ? En prime, les astéroïdes sont riches en carbone nécessaire à faire nos nanotubes…

En route pour l’espace

Bon tout ça c’est bien joli, mais une fois le câble réalisé, il faut encore être capable de grimper là-haut efficacement, parce qu’à pieds, ça risque de durer un peu. Une astuce diabolique va nous permettre d’y arriver facilement. Rappelez-vous qu’en escaladant la tour de Tsiolkovski la gravité apparente (différence entre la gravité réelle et la force centrifuge) décroît et s’annule exactement à l’altitude géostationnaire ; une fois celle-ci dépassée, la direction de la gravité apparente s’inverse. En d’autres termes il faut fournir de l’énergie pour monter une charge jusqu’à l’altitude géostationnaire mais ensuite, la charge est spontanément accélérée car elle tombe vers le haut. Dès lors, sa propulsion ne coûte plus d’énergie mais il est même possible d’en récupérer une partie pour faire monter la charge suivante ! In fine, l’énergie de l’ascension des charges est, prélevée sur l’énergie de rotation de la Terre (dont résulte la force centrifuge), ce qui, au passage, devrait la ralentir d’un tout petit poil. Ce processus permet d’envoyer des charges dans l’espace à un coût ridicule puisqu’une charge située au-delà de l’orbite géostationnaire entraîne la suivante. Une fronde cosmique je vous dis !

Que faire pour construire un véritable ascenseur ? Quand une capsule spatiale entre dans l’atmosphère elle est freinée par les frottements avec les molécules atmosphériques. Sa formidable énergie cinétique est convertie en chaleur qui doit être en partie absorbée par un bouclier thermique qui protège l’intégrité de la capsule. Dans le cas d’une descente le long d’un câble, la vitesse d’entrée dans l’atmosphère peut se faire à une vitesse beaucoup plus faible ce qui réduit considérablement les frottements et l’échauffement. Du coup, l’énergie cinétique d’une cabine descendante peut être essentiellement utilisée pour en faire monter une autre au lieu de bêtement chauffer l’atmosphère. C’est ce que les fabricants d’ascenseurs terrestres, qui utilisent des contrepoids, ont compris depuis longtemps pour améliorer le rendement énergétique de leur engin. Dans un ascenseur spatial le trafic descendant fournit l’énergie nécessaire au trafic montant. Il y aura bien sûr d’inévitables pertes dues aux frottements de la cabine sur les basses couches de l’atmosphère et sur son rail de guidage. Ces dernières peuvent être fortement réduites en utilisant la sustentation magnétique qui évite tout contact entre la cabine et son support. N’oublions pas non plus que dans l’espace le Soleil brille aussi et que l’énergie perdue par frottement pourrait être remplacée par celle captée grâce à de vastes panneaux solaires placés soit le long du câble soit en orbite géostationnaire. Quant au temps de trajet, ne vous attendez pas à des miracles : il faut du temps pour parcourir 36 000 km à la vitesse d’un jet, une bonne douzaine d’heures pour le moins.

Catastrophes !

Il est bien évident qu’un ascenseur spatial pose de nombreux et difficiles problèmes de sécurité. Une structure s’étendant sur une telle longueur à travers l’atmosphère terrestre peut subir des collisions d’avions ou de satellites en orbite basse. Si l’on peut espérer que la structure ne soit pas trop altérée par des collisions accidentelles avec les premiers, à des vitesses de l’ordre de 800 km/h, il en irait tout autrement avec des satellites, dont les vitesses orbitales sont plutôt de l’ordre de 25 000 km/h. Le problème est aggravé par le fait que tout satellite dont l’orbite passe plus bas que la longueur du câble peut potentiellement entrer en collision avec lui car le plan de orbite précesse, c’est-à-dire tourne régulièrement, autour de la Terre. Ainsi, avant même de penser à construire notre ascenseur, il faut entreprendre un important travail de nettoyage des orbites basses, encombrées par une quantité impressionnante de déchets allant de l’écaille de peinture au réservoir de propulsion vide en passant par les satellites hors d’usage. Les quelques 9 000 objets dont la taille excède 10 centimètres sont suivis en permanence par l’U.S. Air Force. Les fragments trop petits pour être détectés sont plus à craindre car, même si leur faible taille provoque des dégâts moins importants, leur grand nombre favoriserait un « érosion » régulière. Et que se passerait-il si le câble était sectionné ? La partie inférieure du câble retombera sur la Terre, sous l’effet de son poids, pendant que l’autre s’en éloignera, tirée par le contrepoids.

Il est aussi très probable qu’un objet, voire un passager chute accidentellement, ou volontairement, hors de la cabine. La situation est totalement différente de celle rencontrée en vol orbital. Un astronaute qui fait un pas au dehors d’une station spatiale reste à son voisinage car il a une vitesse orbitale, identique à celle de sa station, pour laquelle la force centrifuge due à sa rotation compense exactement l’attraction gravitationnelle de la Terre. Si vous faites un pas hors de la cabine de l’ascenseur, votre destin dépendra de l’altitude de la sortie. A une altitude inférieure à 25 000 km, votre vitesse de rotation, égale à celle de l’ascenseur, n’est pas suffisante pour que vous restiez indéfiniment en orbite. Vous suivrez une trajectoire qui croisera la surface terrestre et quelques temps plus tard, votre entrée dans l’atmosphère sera marquée par un intense phénomène de combustion : oh la belle étoile filante ! En revanche, si l’altitude du saut est supérieure à 25 000 km, vous suivrez une trajectoire elliptique qui ne rencontrera pas la surface de la Terre et au bout d’une révolution vous reviendrez exactement à votre point de départ. Évidemment l’ascenseur sera ailleurs…

Une chute depuis l’orbite géostationnaire ne pose guère de difficulté car vous resterez tranquillement à côté de la cabine de l’ascenseur. C’est normal car à cette altitude la force centrifuge due à la vitesse de rotation de l’ascenseur compense exactement l’attraction terrestre. Si vous montiez plus haut encore, vous serez injecté sur une orbite de plus en plus excentrique dont la période sera supérieure à la période de rotation terrestre. Au-delà de 47 000 kilomètres votre destin est beaucoup plus glorieux. Votre vitesse de rotation est alors supérieure à la vitesse de libération de la Terre, vitesse à dépasser pour se libérer de son attraction gravitationnelle, et vous deviendrez un nouvel astre du système solaire ! Désolé, à cause de considérations budgétaires, aucune expédition de secours ne pourra être lancée à votre recherche. Remarquez que l’analogie avec la fronde est parfaite. N’importe quelle masse lâchée au-dessus de 47 000 kilomètres d’altitude s’échappera définitivement du champ de gravité terrestre. On peut même montrer qu’en choisissant soigneusement le moment et l’altitude de largage il est possible d’atteindre n’importe quelle planète du système solaire sans aucun autre moyen de propulsion. S’il y a des passagers, il serait sage d’emporter un peu de carburant pour pouvoir revenir au port…

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais ce projet d’ascenseur spatial est vraiment intéressant. Bien sûr, il reste encore de nombreuses choses à comprendre et bien des problèmes à résoudre comme par exemple, l’effet des oscillations du câble, les conséquences de l’ellipticité de la Terre ou du mouvement de la Lune, l’effet du plasma ionosphérique, des rayons ultraviolets solaires, des particules de hautes énergies, etc. Faisons confiance à l’avenir ! D’ailleurs, la Spaceward Foundation organise jusqu’en 2010 un concours annuel de machine grimpante, espérant aboutir au bout du compte à un prototype fonctionnel d’ascenseur. Ah, une dernière petite question : quand un tel ascenseur pourra-t-il être construit ? Arthur C. Clarke répondait « cinquante après que tout le monde aura cessé d’en rigoler ». Alors arrêtez de ricaner…

Bibliographie

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