L’homme qui apprenait lentement, un entretien avec Robert Charles Wilson

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En 2007, lorsque paraissait Spin, Bifrost publiait cette interview fleuve de Robert Charles Wilson où l'auteur de Blind Lake, des Chronolithes et de Mysterium revenait sur ses premiers romans, ses inspirations ou ses opinions politiques. La parution d'Axis, deuxième volet de la trilogie initiée par Spin, nous a paru le moment opportun pour ressortir des cartons cet entretien avec Thomas Day. A découvrir ou redécouvrir, et à compléter éventuellement avec cette interview plus récente que l'on doit à nos confrères du Cafard cosmique où Wilson discute notamment de ses deux romans parus depuis, Axis et Julian Comstock.

(parution initiale in Bifrost n°45 - janvier 2007)

Bifrost : Pouvez-vous nous parler de vos parents et de votre enfance californienne, puis canadienne ?

Robert Charles Wilson : J’étais le cadet de trois enfants. Mes parents ont quitté l’est des Etats-Unis pour la Californie à la fin des années 1940, sans doute afin de profiter de la croissance économique dont bénéficiait la région après la Seconde guerre mondiale. Mon père a trouvé un emploi de représentant au sein d’une société d’édition de cartes de vœux. En 1962, on l’a promu cadre dirigeant dans la filiale canadienne, ce qui a entraîné notre déménagement à Toronto. J’avais neuf ans.

Ma famille n’avait rien d’une famille d’intellectuels. Ni mon père ni ma mère n’avait suivi d’études supérieures. Mon père venait d’un milieu protestant plutôt rigide : ma grand-mère excisait des magazines qu’elle tolérait chez elle les publicités pour l’alcool. L’évolution était un sujet tabou à la table du dîner. (J’ai dû garder pour moi mes divagations cosmologiques de jeunesse.)

Quel est le meilleur souvenir que vous gardez de vos années passées en Californie ?

Cette réponse résulte peut-être de tous les hivers canadiens que j’ai subis, mais ce dont je me souviens avec le plus de clarté, c’est d’une luxuriance presque surnaturelle : la chaleur sèche, l’odeur des eucalyptus, la tribu de perroquets que leur propriétaire gardait dans un enclos devant lequel je passais tous les jours sur le chemin de l’école, les têtards que j’ai capturés dans un immense collecteur d’eau de pluie en béton par une journée d’été caniculaire. Et à cela s’ajoute le caractère flambant neuf de la banlieue californienne dans les années 1950 : on aurait cru qu’il se construisait sur une table rase toute une civilisation futuriste de verre et de chrome.

Vous étiez bon en classe, les études vous intéressaient ?

Je n’ai été qu’un élève médiocre. Mes bonnes notes en anglais compensaient tout juste une faiblesse congénitale en maths. L’école ne me plaisait guère : j’avais envie de faire des tas d’autres choses intéressantes, mais ma timidité m’empêchait souvent de feinter. Je fuyais les compétitions d’athlétisme (et le cours de gym) comme la peste. En gros, j’étais le gosse au fond de la classe qui ne lève jamais le doigt et préfère qu’on l’oublie. La vraie vie se passait ailleurs.

Comment avez-vous découvert la science-fiction et le fantastique, par les livres, ou par des séries TV comme Star Trek ?

Mon goût pour la S-F et le fantastique date de ma si tendre enfance qu’il me paraît presque génétique, comme le phototropisme du tournesol. Je ne sais pas d’où il me vient, franchement. Je me souviens que je regardais les rediffusions incessantes des films de monstres à petit budget sur KTLA, la chaîne locale de Los Angeles. L’amateurisme des acteurs et la ressemblance des décors avec le quartier où je vivais ajoutaient à l’effet de réel — bizarrement, ces séries Z me paraissaient plus réalistes que les films situés à New York ou à Paris. Sauf que tout le monde se faisait bouffer par un caméléon géant, ou un truc du même acabit.

J’adorais aussi les bouquins pour enfants comme The Spaceship under the apple tree [Le vaisseau spatial sous le pommier] et la série des Mushroom planet [La planète champignon]. J’ai appris à lire par mes propres moyens, avant même de fréquenter l’école, en déchiffrant les gros titres des journaux. Je me rappelle être resté perplexe devant le nom d’une épicerie du coin, RALPH’S, jusqu’à ce que ma mère m’explique que le « PH » se prononçait « F ». Une véritable révélation.

Je me souviens aussi qu’on m’emmenait dans une boutique où régnait l’odeur enivrante de la pulpe de papier et où je couvais du regard les couvertures de Galaxy et du Magazine of Fantasy and Science Fiction. On m’interdisait de les acheter, mais j’en avais une envie presque sexuelle. (J’ai eu le même problème avec une édition de poche de L’Ile du docteur Moreau appartenant à mon frère aîné, que j’avais dénichée au rebut dans un carton. Mes parents me l’ont prise parce qu’il y avait un monstre sur la couverture. J’étais désespéré ; il me semble bien avoir refusé de prononcer le moindre mot pendant plusieurs jours.)

Puisque vous ne pouviez pas en lire chez vous durant votre enfance, quand avez-vous abordé la S-F littéraire ? Et quels étaient vos auteurs favoris dans les premiers temps ? Asimov ? Herbert ? Vance ? Williamson ? Ou plutôt Sturgeon et Bradbury, qui semblent assez proches de votre univers d’écrivain ?

Personne ne me dissuadait de fréquenter la bibliothèque. Mes parents devaient estimer que les livres y portaient une sorte de cachet de respectabilité invisible. Et je pouvais rapporter des poches à la maison du moment que l’illustration n’était pas trop criarde et que le mot « sexe » n’apparaissait ni en première, ni en quatrième de couverture.

J’ai lu, bien sûr, tous les auteurs de S-F que vous citez. Sturgeon et Bradbury faisaient en effet partie de mes chouchous. Leurs récits me faisaient l’effet d’une injection de merveilleux droit dans le cerveau. Ceux de Bradbury étaient d’une sensualité à ravir, ceux de Sturgeon poignants au possible ; aujourd’hui encore, « L’Autre Célia », de Sturgeon, me paraît superbement écrit, très personnel, et d’une infinie tristesse. Mais je lisais tous les autres. Les nouvelles d’Avram Davidson étaient souvent aussi bonnes, voire meilleures, que celles de Sturgeon. Et j’adorais Robert Heinlein, moins pour ses opinions politiques que pour le réalisme cru de ses futurs imaginés — des futurs où il fallait toujours payer et graisser les machines, aussi extraordinaires qu’elles soient. J’étais un lecteur moins difficile, à l’époque.

Visiblement, vous n’avez guère brillé comme élève. Alors, après en avoir fini avec les études obligatoires, vous êtes allé en fac ou vous avez trouvé du travail ?

Mon père est mort durant ma dernière année de lycée, et je me suis retrouvé plus ou moins forcé de pourvoir à mes besoins. J’ai occupé divers emplois, dont le plus intéressant a été transcripteur pour la commission des droits de l’homme en Ontario.

Les clients présentaient leurs doléances, les agents de la commission des droits de l’homme enregistraient les sessions, et je transcrivais ces bandes. C’était un moyen génial d’apprendre à maîtriser les dialogues, à coucher sur le papier, en plus de ce qui se dit littéralement, les sous-entendus induits par les pauses et le rythme du discours oral.

J’ai l’impression que cette expérience a influencé non seulement votre style et vos dialogues, mais aussi la construction de vos personnages.

Sans doute. Il s’agissait bien d’un aperçu révélateur sur la nature humaine. Mais les écrivains sont des pies voleuses : ils chopent tout ce qui attire leur attention, où qu’ils le trouvent.

C’est à ce moment-là que vous avez commencé à écrire, ou avant ? Et qu’est-ce qui vous a poussé à vous y mettre ?

Gamin, j’écrivais déjà des histoires. Je ne n’ai jamais arrêté. J’ignore pourquoi.

Vous débutez avec « Equinoctune », en 1975, dans Analog, sous le nom de Bob Chuck Wilson. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette première parution pro ?

 J’ai écrit cette nouvelle à dix-neuf ans. Je connaissais depuis quelques années le B.A.-BA de l’écriture (comment dactylographier un manuscrit, le soumettre), mais j’hésitais à sauter le pas. Je savais que ma production manquait de professionnalisme, et cela me semblait quelque peu arrogant de la faire subir à des rédacteurs en chef, des gens dont c’était le métier. J’avais déjà essuyé quatre ou cinq refus, mais j’ai placé « Equinocturne » du premier coup. Quand j’y repense, ce qui m’arrive rarement, j’y vois une œuvre de jeunesse. Comme le texte, même à l’époque, ne me paraissait que moyennement réussi, j’ai utilisé un quasi-pseudonyme ; mais je voulais aussi pouvoir me vanter de sa publication…

En parlant de pseudonymes, le plus drôle, c’est que le premier roman de Robert C. Wilson que j’ai lu, La Marche de l’ours, un roman d’horreur, n’est pas de vous… Il y a deux Robert C. Wilson qui écrivent dans le domaine. Vous le vivez bien ? Est-ce que vous avez rencontré l’autre ?

Oh, il y a beaucoup de Robert Wilson qui s’activent. Je n’ai jamais rencontré ce Robert C. Wilson, mais je connais l’existence de son livre, même si je ne l’ai pas lu. C’est un bon bouquin ?

A l’époque, il m’avait bien plu, mais ça fait un bail.

Il y a aussi, bien sûr, Robert Anton Wilson. J’utilise mon patronyme complet, second prénom inclus, surtout pour me distinguer de cette foule de Robert.

Votre deuxième nouvelle publiée semble être « Boulevard Life » en 1985. Que s’est-il passé pendant les dix ans qui séparent sa publication de celle d’« Equinoctune » ?

Je continuais d’écrire, mais je terminais rarement ce que j’écrivais ; quant à ce que je terminais, j’évitais de le soumettre. Même si je n’avais rien d’un génie littéraire, j’étais assez futé pour me rendre compte que je produisais beaucoup de nullités. Lorsque Thomas Pynchon a réuni ses premiers textes, il a eu l’humilité d’intituler son recueil L’Homme qui apprenait lentement. Ma foi, j’apprenais lentement, moi aussi. Et je savais sans risque d’erreur que je n’étais pas Pynchon.

Vous aimez son œuvre ? L’Arc-en-ciel de la gravité est un de mes livres préférés (avec Le Mage, de John Fowles)…

Oui, et par ailleurs j’adore Fowles. Il y a certains écrivains de littérature générale que j’apprécie de façon régulière, même s’ils n’ont guère de points communs : David Leavitt (un styliste hors pair), Steven Millhauser (qui aborde souvent le fantastique ou le merveilleux — Martin Dressler est un livre génial), John Cheever, Larry McMurtry…

En 1986, vous publiez votre premier roman, A Hidden place [Un endroit secret], qui évoque la S-F de Chad Oliver et de Zenna Henderson,  mais aussi la littérature générale de John Stein-beck. Quelle est l’histoire de sa parution ? Comment avez-vous défini son intrigue et son cadre ?

Sa genèse est toute simple. J’avais vendu une nouvelle à Shawna McCarthy alors qu’elle dirigeait Asimov’s Magazine. Quand elle est partie chez Bantam Books comme directrice d’ouvrages, elle m’a écrit pour me demander si j’avais un manuscrit de roman. Ce n’était pas le cas, mais l’occasion fait le larron. Je lui ai donc répondu que je travaillais sur un livre. Puis je m’y suis mis. Il s’agissait de celui-ci.

A l’époque, je dévorais les œuvres de Flannery O’Connor et Carson McCullers — leurs personnages grotesques, égarés, brisés me fascinaient. Je crois que mon protagoniste, Bone [Os], vient de là et des anecdotes que racontaient mes parents sur la Grande dépression. Certains détails résultent de mes visites chez mes grands-parents qui habitaient, à Pittsburgh, une maison où tout était comme figé en 1920 : les drôles de remèdes, le cuir à rasoir et le blaireau de mon grand-père, le fusil de la guerre de Sécession qui prenait la poussière au grenier.

Un an plus tard sort votre deuxième roman, Ange mémoire, qui relève plutôt du cyperbunk. L’esthétique du mouvement vous intéressait-elle ? Et l’œuvre de William Gibson ?

Je faisais comme beaucoup de débutants : je cherchais ma voix. Oui, j’admirais Neuromancien avec passion. Il m’a fallu un bon moment pour comprendre que je ne voulais pas écrire du William Gibson, mais un roman qui donnerait aux lecteurs les sensations que son œuvre me procurait. Gibson est en fait un auteur très sensuel, ce qu’on oublie souvent à force de se focaliser sur les chromes de l’attirail cyberpunk.

A la fin des années quatre-vingt, avec trois romans publiés, vous alliez aux conventions, vous rencontriez vos collègues ?

Très occasionnellement. Je manquais par trop d’assurance pour me sentir à l’aise dans ce type de milieu. J’avais été fan, je savais comment fonctionnaient les conventions, mais jouer les invités d’honneur ou participer à une table ronde avait quelque chose d’un peu angoissant pour ma… sensibilité délicate. Quant à mes collègues écrivains, j’aimais les rencontrer, mais je dépassais rarement le stade où l’on balbutie des remarques flatteuses sur leur œuvre.

On finit par s’habituer, évidemment. Je fréquente davantage les conventions désormais, j’ai effectué quelques tournées promotionnelles en librairies, et j’ai de bons amis dans le domaine.

Les Fils du vent en 1989, Vice-versa en 1990, A Bridge of years [Le pont des ans] en 1991 et Le Vaisseau des voyageurs en 1992, soit quatre livres en autant d’années. Quinze ans plus tard, quel regard portez-vous sur ces ouvrages et sur cette période de votre carrière ?

 Il me semble que je commençais à trouver ma propre voix, par un processus d’expérimentation. Ces livres n’ont pas tous bien marché. Vice-versa a été publié à la sauvette et, dans l’environnement éditorial actuel, il aurait pu tuer ma carrière. Mais il y avait encore assez de mou dans le système à l’époque pour me permettre de continuer. Quel regard porter sur eux ? Je pense qu’il s’agit des meilleurs livres dont j’étais capable en ce temps-là. Lorsque, maintenant, je les relis, ils m’apparaissent comme les œuvres d’un jeune écrivain. Ils possèdent un certain manque d’apprêt qui n’est pas forcément un défaut. Mais je préfère laisser à d’autres le soin d’une critique plus poussée.

Trois de vos romans de la période 1989-1992 sont parus en France chez J’ai Lu, mais pas A Bridge of years, savez-vous pourquoi ?

Non — aucune idée.

A présent, ma première question difficile, navré. Le Vaisseau des voyageurs me semble trop long, peut-être parce que j’ai commencé à lire de la S-F au début des années 1980 (j’avais onze ou douze ans), quand la plupart des livres faisaient 250 pages. Vous avez écrit par la suite de gros romans, mais pas trop longs (Spin, quoique conséquent, est de la taille idéale). Quel est votre avis sur la longueur du Vaisseau des voyageurs et celle des livres de S-F actuels ?

Et c’est ça que vous qualifiez de difficile ? Non — « difficile », c’est quand on doit faire face, dans une cabine d’ascenseur, à un militariste de cent cinquante kilos qui tient votre œuvre pour « anti-américaine ».

Quant au roman en question, il ne m’a certainement pas semblé trop long. Je me suis trouvé stupéfait d’avoir réussi à produire autant de mots, je l’admets. En revanche, j’ai mené l’histoire à son terme, et je me suis arrêté là. Des lecteurs m’ont déjà réclamé une suite, donc j’imagine qu’ils ne l’ont pas trop détesté. Même si on croit à l’existence d’une science littéraire, il s’agit pour l’essentiel d’une question de goût.

La plupart des auteurs débutent sous l’influence de ce qu’ils ont lu durant l’enfance et l’âge adulte. Navré d’aborder encore les sujets qui fâchent, mais il me semble que c’est aussi votre cas (vous reconnaissez vous-même avoir appris lentement). A Hidden place évoque Simak, Bradbury et Sturgeon, Les Fils du vent Sturgeon de nouveau, Ange mémoire et Vice-versa font très « fin des années quatre-vingt » et me paraissent bien peu personnels, Le Vaisseau des voyageurs me rappelle Le Vagabond de Fritz Leiber (mais vous ne serez peut-être pas du tout d’accord)… De vos ouvrages, quel est le premier dont vous estimez les influences invisibles, et la tonalité vraiment personnelle ? Bridge of years ou Mysterium ? Pour moi, il s’agit de Mysterium, et je crois que c’est ce qui explique son Philip K. Dick Award. Votre opinion ?

Je ne peux pas — et je n’imaginerais même pas — nier avoir subi l’influence évidente de mes icônes littéraires. Les écrivains ne surgissent pas tout formés. Quand je relis Bradbury ou Sturgeon à présent, je remarque les influences qui les ont façonnés, eux, avec beaucoup plus de clarté qu’à l’épo-que où je les ai abordés. Voilà pourquoi détecter des influences constitue l’un des jeux de salon les plus populaires en matière de littérature, et l’un des moins utiles. Mais il y a au moins autant de Carson McCullers dans A Hidden place que de Sturgeon.

La maturité s’installe quand on commence à dépasser ses influences — sans les abandonner, mais en les inscrivant dans une vision littéraire plus vaste et plus personnelle. (Je crois que les Jungiens appellent ce processus l’individuation.) Cela se produit peu à peu, et j’ai du mal à voir un terminateur précis dans mon travail. C’est peut-être avec Darwinia que j’ai jeté la prudence aux orties — et c’est la prudence qui conduit à se reposer par trop sur ses mentors littéraires.

Le prix décerné à Mysterium a-t-il changé votre carrière ? Quel a été votre sentiment sur l’instant ? Quelque chose comme : « Génial, après toutes ces années, j’arrive enfin quelque part, même si je ne sais pas trop où » ?

En fait, et j’espère que cela ne passera pas pour de la fausse modestie, les prix ne me motivent guère. Attention, ils sont agréables à recevoir et je suis ravi de les accepter, mais la notion d’écrire avec un prix littéraire en ligne de mire, ou de voir sa démarche validée par l’obtention d’un prix littéraire, me paraît des plus futile. Le Philip K. Dick Award n’a pas changé ma carrière, mais il en a quelque peu facilité la poursuite.

Dans Mysterium, on assiste à une bonne part des événements du point de vue d’un jeune garçon ; dans Darwinia et Spin, le personnage principal est enfant au début de l’histoire ; et une jeune fille joue un rôle crucial dans Blind Lake… Vous aimez écrire sur les enfants ? Les placer dans des situations impossibles ?

Les enfants offrent un excellent point de vue comme personnages de S-F parce qu’ils abordent les situations étranges avec moins de préconceptions qu’un adulte. C’est toujours intéressant d’écrire selon leur perspective, car on peut les imiter, en somme : ignorer les conventions sociales, pour poser les questions pertinentes et impolies.

Avez-vous des enfants ? Si oui, que pensent-ils de vos livres et du fait que vous écrivez (ce qui est un travail peu commun…) ?

J’ai deux garçons, qui sont de jeunes adultes à présent. Tous deux ont lu mes livres et montrent un intérêt avéré pour la science-fiction, même si ça n’a tourné à l’obsession ni chez l’un, ni chez l’autre.

La présence d’enfants, d’un parent divorcé, d’une énigme centrale (la disparition du continent européen, des obélisques commémoratifs venus du futur, le temps qui se met à passer extrêmement vite sur Terre) : il y a des motifs récurrents dans la plupart de vos romans récents. Savez-vous pourquoi ? Il me semble que vous essayez encore et encore d’écrire le même livre, un livre qui n’aurait de sens que pour vous, et que Mysterium, Darwinia, Blind lake, Les Chronolithes et, bien entendu, Spin sont des aspects de ce livre invisible, impossible à atteindre… Vous êtes d’accord ?

La plupart des écrivains n’essaient-ils pas sans cesse d’écrire un livre idéal, au sens platonicien du terme ? Nous échouons toujours. Mais, dans le même temps, je ne veux pas que mon travail se réduise à une poignée d’éléments. Certains de mes textes préférés dans mon œuvre ne correspondent pas du tout à cette description — des nouvelles comme « The Cartesian theater » ou « Julian », par exemple.

De quoi parle « The Cartesian theater » ?

Il s’agit d’une novelette située dans un avenir à la prospérité ambiguë où des IA capables d’interactions complexes ont pris le contrôle de l’économie globale. L’histoire traite des interactions humains/ machines alors que la frontière devient floue, et d’une tentative pour s’accrocher à la notion que la conscience humaine a quelque chose d’unique (ou d’uniquement spirituel).

Et « Julian » ?

C’est la novella inaugurale d’un ouvrage plus long qui retranscrit l’histoire de Julien l’Apostat (l’empereur romain qui a essayé de restaurer le paganisme dans l’Empire christianisé) dans le cadre d’une Amérique du nord du XXIIe siècle où, après l’effondrement général, le charbon constitue la principale source d’énergie et les Etats-Unis affrontent les puissances européennes pour la possession du Labrador.

Il n’y a pas de « héros nord-américain » dans vos livres, mais plutôt des gens ordinaires aux problèmes ordinaires (argent, famille, travail). Vous voulez écrire une science-fiction très réaliste ? Et ne s’agit-il pas d’un paradoxe, quand la plupart des lecteurs veulent lire une S-F qui présente des intrigues et des personnages outranciers ?

Dans le monde anglophone, on a très vite associé le roman de science-fiction au roman d’aventures. Nous voici condamnés à attendre des héros à la mâchoire de granit et des méchants au sourire cruel. Mais ce qui définit la S-F, à mon avis, c’est son souci de l’imprévu. Le monde actuel était très différent dans le passé ; le présent aurait pu se révéler très différent selon l’évolution des événements ; et le futur sera forcément différent du présent. Ce sont là des idées simples, mais elles abondent en possibilités littéraires. Pour moi, le paradoxe est inverse : l’apocalypse n’a rien d’apocalyptique si c’est le Capitaine FuturNote de Thomas Day :
Personnage d’Edmond Hamilton, dont le corpus a été librement adapté en dessin animé ; Capitaine Flam, en français.
qui la vit.

Les Chronolithes est bâti autour d’une des idées les plus fortes que j’aie jamais rencontrées en science-fiction : de gigantesques pierres taillées qui, au lieu de tomber du ciel, arrivent du futur, d’une guerre hypothétique. Est-ce que vous vous rappelez d’où cette idée vous est venue ? Et pouvez-vous nous dire comment vous avez échafaudé le livre, l’intrigue, les personnages, une fois que vous teniez votre idée centrale ?

Le monument énorme et mystérieux, c’est une image que je portais en moi depuis belle lurette, en attendant de lui trouver une amorce d’explication. Une sorte de rêve éveillé. Cet objet m’a paru trouver sa place dans un roman qui traiterait de la causalité et de l’imprévisible. Je me souviens aussi que je voulais dépasser la notion conventionnelle du « paradoxe temporel » et inventer une sorte de mascaret au sein du flot du temps (la « turbulence tau »), dans lequel, à l’occasion de certaines circonstances spécifiques, ce serait le passé, et non le futur, qui deviendrait imprévisible, inconnaissable.

Et maintenant, est-ce que vous pouvez nous dire qui, à votre avis, est Kuin ?

Et pourquoi mon avis importerait-il ? Dans la causalité fluide du roman, Kuin est une espèce de néant. Son histoire reste indéterminée, inconnaissable en fin de compte, là encore. N’importe quelle explication pourrait être juste ou fausse. Tous les indices donnés dans le livre sont exacts, et aucun ne l’est.

Ce roman voyage beaucoup : la Thaïlande, Jérusalem, etc. Vous vous rendez sur place pour écrire un tel livre, ou vous recourez à des lectures et à des recherches de photos sur Internet ?

Je voyage moins que le roman ne le suggère. Mais j’estime que la S-F a pour obligation d’être une littérature cosmopolite. Si on veut écrire sur « le monde » et « la planète Terre », on doit regarder plus loin que l’Amérique du nord et l’Europe. Impossible, par exemple, de spéculer sur l’avenir en oubliant l’Asie. L’Américanisme global si douillet qu’on imaginait naguère n’est qu’une illusion insupportable.

Le ciel, les étoiles, les planètes… L’espace est très présent dans vos romans, ainsi que dans certaines de vos nouvelles, telle « The Perseids ». Est-ce que vous possédez un télescope ? Passez-vous beaucoup de temps à observer le ciel, à compulser des livres d’astronomie ? J’ai lu que vous faisiez de longues promenades nocturnes dans votre jeunesse…

J’adore observer le ciel étoilé. Je n’ai jamais appris à me servir d’un télescope, mais j’ai beaucoup d’affinité avec une phrase qu’aurait prononcée Fritz Leiber à propos de ses sessions nocturnes au télescope installé sur son toit : « C’est ma religion à moi. » Et oui, dans ma jeunesse, quand je traînais avec des fans de S-F lunatiques et des étudiants sans-le-sou, on passait notre temps à arpenter les rues de Toronto jusqu’à l’aube, en nous disputant sur les problèmes existentiels de base et en essayant de tirer du silence qui règne vers quatre heures du matin rien moins que le Sens de la vie.

Vous n’avez écrit que peu de nouvelles au fil de votre carrière, pourquoi ? Tim Powers a dit qu’une nouvelle réclame presque autant de travail qu’un roman, qu’en pensez-vous ?

Une nouvelle paraît en effet exiger une somme de travail pour un retour sur investissement négligeable et, quant à moi, je trouve les romans beaucoup plus satisfaisants à écrire. Ceci dit, toutefois, il y a des idées qui ne fonctionnent que sur courte distance, et quelques-unes d’entre elles sont trop fascinantes pour que je leur résiste.

En 1999, vous publiez BIOS, un livre à part dans votre œuvre… Vous pourriez nous dire deux mots de ce roman aussi bref qu’impressionnant ? Je crois savoir qu’il est lié à la nouvelle « The Dryad’s wedding » [Le mariage de la dryade] ?

Si je me suis lancé dans BIOS, c’est en partie pour me prouver que j’étais capable d’écrire un type de S-F avec lequel on ne m’associe pas forcément : un futur lointain, de la hard-science, de l’aventure planétaire, autant de terrains de jeu dont aucun d’entre nous n’est exclu. Mais BIOS se terminait sur une note si sombre, en tout cas pour la plupart des protagonistes, que j’ai voulu me projeter un peu plus avant dans l’histoire de la planète et explorer certaines implications du roman d’origine. C’est ce que fait « The Dryad’s wedding ».

Blind Lake est un roman sur « l’observateur et le sujet observé ». Ce que j’y apprécie beaucoup, c’est que Marguerite Hauser (l’observateur) doit écrire l’histoire de l’extraterrestre (le sujet observé) afin de le comprendre (peut-être). Entamé comme un thriller de science-fiction, le livre devient un roman sur l’écriture de l’Autre. Etes-vous d’accord, ou aviez-vous un tout autre projet littéraire ?

Il me semble que la narration — le récit — est un des moyens primordiaux dont disposent les humains pour se comprendre eux-mêmes et comprendre le monde. La vie humaine (comme la biologie, et l’évolution de l’univers) est hasardeuse, en ce sens que son cours dépend de facteurs imprévisibles. Malgré la causalité, ce cours décrit des méandres et peut se séparer en plusieurs bras. En d’autres termes, la vie même constitue un récit.

Darwinia et Blind Lake apparaissent de prime abord comme des livres faciles à étiqueter (roman d’aventures pour Darwinia, thriller de S-F pour Blind Lake), mais se terminent sur une note très différente. Vous aimez balader vos lecteurs par des chemins détournés ?

Ma foi, j’aime bien « sortir du cadre ». Mais c’est là une des vertus inhérentes à la science-fiction, à moins que nous autres, écrivains, ne devenions paresseux au point de recourir aux formules bien éprouvées et aux clichés.

A présent, parlons de Spin, prix Hugo 2006 du meilleur roman. Pour moi, et mon avis semble typique, il s’agit de votre livre le plus réussi. Vous en convenez, ou vous refusez de considérer vos livres de cette manière ?

Je n’en disconviens pas. Tout écrivain accumule une panoplie d’outils au fil de sa carrière. Et apprend à re-connaître les projets auxquels ces outils s’ajusteront au mieux.

Spin présente un aspect beaucoup plus scientifique que vos romans précédents. Vous aimez écrire sur la science ? Vous demandez de l’aide auprès de professionnels pour ne pas commettre d’erreurs, ou vous travaillez seul ?

Dans le domaine scientifique, je suis un spectateur avide. Mais je n’ai rien d’un savant et je vais sans doute me tromper sur des détails ici ou là. Ce qui me fascine, c’est que la science actuelle pose des questions de nature philosophique plutôt que scientifique. Etant donné la bizarrerie de l’univers que nous révèle la physique moderne, quelle place l’humanité occupe-t-elle au sein de ce tableau et quel destin va-t-elle y accomplir ? Ce sont des problématiques que la littérature peut traiter.

Spin met en scène une sorte de deuxième « âge de l’espace ». Etes-vous de ceux qui s’attristent de voir le programme spatial au ralenti et Mars si loin, trop loin pour l’humanité ?

Je crois que nous avons sous-estimé les difficultés des vols spatiaux habités. Mais nos robots se débrouillent très bien, merci. Du temps de ma naissance, aucune machine de fabrication humaine n’avait jamais orbité autour de la Terre, et, aujourd’hui, je peux me connecter pour admirer des photographies détaillées de la surface de Mars ou des anneaux de Saturne. Il serait stupide de geindre que cela ne suffit pas.

Cependant, il m’arrive de me demander où on en serait si nous avions consacré ne serait-ce qu’une petite fraction de nos dépenses militaires à l’exploration du système solaire.

Plus encore que la science, ce sont les personnages qui tiennent un rôle central dans Spin. Trois personnages principaux : le narrateur et deux jumeaux hétérozygotes dont l’un, la femme, tombe dans le fanatisme chrétien (par deux fois, la première à cause du Spin, la seconde à cause de son mari) et l’autre, l’homme, d’une intelligence supérieure, s’abandonne à l’« obsession du Spin », obsession qui l’aide sans doute à combattre sa maladie. Et il y a bien sûr le narrateur, un médecin qui, pour être franc, me fait penser à vous. Etes-vous d’accord ? Et avez-vous envie d’ajouter quoi que ce soit à propos de ces trois-là ?

En relisant le livre, je vois Diane et Jason comme des gens qui ne parviennent jamais à accepter le caractère imparfait du monde — et le statut de l’Homme, qu’un chrétien pourrait qualifier de « déchu ». Tyler, le narrateur, est celui qui s’en accommode.

Spin se déroule pour une bonne part en Indonésie. Vous y êtes allé, ou vous avez utilisé les livres et Internet ?

Jamais mis les pieds là-bas. Je ne voyage pas beaucoup, comme je vous l’ai déjà dit. Et, au risque de me répéter, je crois que la S-F (surtout en Amérique du nord) doit regarder par-delà ses frontières provinciales.

Vous appréciez les personnages de médecin, pourquoi ? S’agit-il d’un métier que vous vouliez exercer dans votre jeunesse ?

Ce qui me plaît chez le médecin, je crois, c’est la valeur évidente de son travail pour les autres. Sauver une vie ou atténuer la souffrance est un acte admirable en soi.

Dans Darwinia et Spin, vous nous montrez des gens qui atteignent à l’immortalité, ou obtiennent une extrême longévité. Si demain nous pouvions devenir des Quatrièmes Ages, comme dans Spin, ou bien immortels, que feriez-vous et, surtout, que pensez-vous qu’il adviendrait sur Terre ?

Bon, voilà une grande question. Il faudrait plusieurs romans pour y répondre, à mon sens. L’objectif paraît simple, et désirable, mais les conséquences seraient sans doute énormes et peu prévisibles. C’est pourquoi, dans Spin, les Martiens bornent leur longévité par le biais de nombreuses restrictions à caractère sociétal (concernant la participation à la vie politique et la fertilité, entre autres).

J’ai lu sur votre site officiel que vous travaillez sur AxisNote de Clément :
Axis est donc paru en 2007 aux Etats-Unis et en septembre 2009 en France, chez Denoël Lunes d'Encre.
, une suite à Spin, en quelque sorte. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Si je ne m’abuse, c’est la première fois que vous écrivez une suite.

Axis s’ouvre environ trente ans après les événements décrits dans Spin. Ce n’est pas une suite directe, dans le sens où elle poursuivrait l’histoire des personnages du premier roman. (Deux ou trois d’entre eux y réapparaissent toutefois dans des rôles secondaires.)

Je ne suis pas très fan des suites ni des trilogies — c’est Oscar Wilde, je crois, qui a dit : « Tout le monde n’est pas capable d’écrire un roman en trois volumes. Cela nécessite une ignorance complète de l’art comme de la vie. » Mais, dans le même temps, je voulais tirer au clair d’autres conséquences du Spin et explorer le monde incroyablement différent mis en place à la fin du roman. Il y aura un troisième volume, qui s’intitulera sans doute Vortex.

La plupart des auteurs de science-fiction de ma connaissance lisent très peu de S-F. En êtes-vous un lecteur assidu ou occasionnel ? Et quels sont vos auteurs favoris du moment ?

Je lis toujours de la science-fiction, quoique moins religieusement qu’à quinze ans. En ce moment, je suis le travail de Kim Stanley Robinson — sa trilogie sur le réchauffement planétaire. La nouvelle de science-fiction en langue anglaise me paraît se porter à merveille : les anthologies annuelles des meilleurs récits sont de vrais coffres à trésors.

Maintenant quittons un peu la littérature, pour parler musique. A-t-elle joué un rôle important dans votre vie d’adulte ? Qu’est-ce que vous écoutez ?

Pour ce qui est de la pop, je fonctionne par éclipses : je m’y intéresse un temps, je m’en éloigne, j’y reviens cinq ou dix ans plus tard. J’en ai donc loupé des pans entiers. Je découvre encore le rock des seventies.

Steely Dan était un groupe fabuleux. Mais je n’ai pas manqué Elvis Costello : j’avais tous ses premiers albums, je l’ai vu deux ou trois fois en concert. Ma femme Sharry est si fan de Neil Young, une icône culturelle canadienne, que sa photo figure dans Neil Young nation, un ouvrage récent de Kevin Shong qui relate des voyages inspirés par l’artiste. J’en suis donc venu à apprécier l’œuvre immense de Young (et sa canadianitude bien enracinée).

Depuis quelque temps, j’explore le jazz américain. Un des avantages de la vie dans une culture à haute technologie, c’est de pouvoir écouter de la musique jouée avant ma naissance.

Etes-vous cinéphile ? Et si oui, quels sont vos films préférés, en S-F ou ailleurs, bien sûr ?

Trop nombreux pour que j’en dresse la liste. En science-fiction, je m’en tiens à Planète interdite, le distillat ultime de la S-F nord-américaine des années 1940, avec tous ses défauts et toutes ses qualités.

Avez-vous des contacts avec l’industrie cinématographique ? Y a-t-il des producteurs hollywoodiens intéressés par l’un ou l’autre de vos livres ?

Mes livres ont fait l’objet d’options à plusieurs reprises. Il n’en sort jamais rien, apparemment, mais je crois comprendre que c’est le lot commun des écrivains.

Parlons politique, maintenant, si vous le voulez bien. La politique transparaît toujours dans vos livres, mais, en règle générale, ce n’est qu’une ombre, présente partout et nulle part. Aux yeux d’un lecteur français, vous semblez susceptible de voter socialiste, ou écolo, mais je suppose qu’il en va autrement au Canada et peut-être que je me trompe du tout au tout ?

Maintenant que je suis citoyen canadien, je vote pour le NPD ou (quand il arrive à proposer un programme cohérent) le parti LibéralNote de Thomas Day :
En Amérique du nord, quelqu’un qui se définit comme libéral a de fortes chances de considérer l’avortement comme un droit, l’évolution comme une réalité scientifique et la laïcité comme un progrès nécessaire. Aux Etats-Unis, les Démocrates passent pour plus libéraux (plus tolérants, plus progressistes, plus concernés par l’environnement) que les Républicains, mais ce n’est pas pour autant que l’on peut considérer le parti démocrate comme un parti de gauche, du moins pas dans le sens où les Européens l’entendent.
, mais quelle importance, au fond ? Ce qui me fascine en tant qu’auteur de S-F, c’est la manière dont la politique évolue au fil du temps. J’ai pas mal lu, ces temps derniers, sur la vie politique aux Etats-Unis pendant la guerre de Sécession, à l’époque où les Républicains constituaient le parti progressiste. En Amérique du nord, en tout cas, on a tendance à agglomérer des idées politiques ou sociales qui n’ont aucun rapport entre elles, voire qui entrent en contradiction totale les unes avec les autres, et à les croire reliées par des « valeurs » non spécifiées. Et, bien entendu, cette croyance qui relève du non-dit évolue elle aussi. Un Républicain de 1862 aurait bien du mal à considérer George Bush comme l’un des siens, et un Démocrate (dont le parti était alors esclavagiste) de la même année serait sans doute stupéfait face à des Etats-Unis où les Noirs auraient le droit de vote — et voteraient dans leur grande majorité pour les Démocrates !

En règle générale, vos personnages principaux ont une tendresse marquée pour les « hippies », la génération du « Flower Power », l’« esprit de Woodstock ». Vous êtes né en Californie. Faut-il y voir un lien ?

J’étais un peu trop jeune pour être impliqué dans ce qu’on aime appeler, par une généralisation abusive, « les Sixties », mais j’éprouve une certaine nostalgie à l’égard des drogues psychédéliques, et les gens qui participent à des événements comme, par exemple, le Burning manNote de Thomas Day :
Le festival Burning Man est le festival le plus libertaire et le plus déjanté du nouveau monde ; le dernier en date a eu lieu dans le Nevada, à la fin de l’été 2006. Le droit d’entrée en était relativement coûteux, plus de 300 euros, mais tout était compris dans le prix pour une semaine.
, m’inspirent un sentiment de chaleureuse complicité — eux acceptent d’assumer leur excentricité. Je ne suis pas aussi courageux.

Toujours la politique… Vous rappelez-vous ce que vous faisiez le 11 septembre 2001 ? Et que représente cette date à vos yeux ? Que pensez-vous de la « guerre contre le terrorisme » que mène George Bush Jr et qui, pour les Français, évoque plutôt une « guerre américaine pour la maîtrise du pétrole iraquien » ou, pire, une nouvelle Croisade ?

Cet état de fait me déprime au possible. Chaque jour amène son lot d’absurdités de la part des Etats-Unis — le chauvinisme, le refus de voir la réalité en face, les motifs inavoués, les mauvais choix, les vérités cachées et, pis que tout, le lent démantèlement de la protection des droits de l’homme telle que garantie par la Constitution. Sans parler du type d’environnement intellectuel dans lequel on peut bannir le terme « évolution » des cours de science, tout en entendant des personnes instruites débattre de l’utilité de la torture. C’est un pénible spectacle et j’en redoute les conséquences à long terme.

Quels sont vos projets en cours ? Axis, uniquement, ou d’autres romans, des nouvelles ?

Terminer Axis constitue mon obsession actuelle (je tiens à l’achever d’ici un mois pour qu’il paraisse peut-être à l’été 2007). Deux ou trois idées de nouvelle me titillent, et je veux rédiger Vortex et faire de « Julian » un romanNote de Clément
Le roman « Julian Comstock: A Story of 22nd-Century America » est paru aux Etats-Unis chez Tor en 2009.
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Merci, Robert, merci beaucoup.

Entretien réalisé par Thomas Day entre le 16 juillet et le 30 septembre 2006, et traduit de l’anglais par Pierre-Paul Durastanti

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