Q comme Question de poids

L'Abécédaire |

Après L’Œuf du Dragon de Robert Forward, on continue notre exploration d'astres aux conditions extrêmes où, en dépit de tout, la vie prospère. Étape, donc, sur Mesklin, avec Une question de poids de Hal Clement…

Question de poids [autre titre : Mission Gravité][A Mission of Gravity], Hal Clement, (mal) traduit de l’anglais [US] par Pierre Versins et Martine Renaud. Pocket, coll. « Science-fiction/fantasy », 1982 [1954], poche, 256 pp.

Quelques tours d’alphabet plus tôt, on s’était intéressé à L’Œuf du Dragon de Robert Forward, aventure de hard science ayant pour protagonistes les habitants d’une étoile à neutrons. Un roman dont la généalogie pouvait être retracée jusqu’à Question de poids de Hal Clement, texte fondateur en son genre en dépit de ses défauts (et il n’en manque pas).

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Question de poids (on préfèrera ce titre à celui de Mission Gravité, qui perd un peu le jeu de mots) a d’abord été publié dans Astounding entre avril et juillet 1953 avant d’être rassemblé dans un seul volume l’année suivante.

Le principal argument de Question de poids est le monde sur lequel se déroule l’histoire. Tout le reste (univers, personnages, intrigue, style) demeure passablement en retrait. Et quel monde ! Un de ceux capables d’éveiller le sense of wonder dès lors qu’on évoque ses caractéristiques physiques.

Soit la planète Mesklin. Une planète tellurique géante, qui tourne si vite sur elle-même – une journée n’y dure qu’à peine 18 minutes – que sa forme en est affectée. Si son diamètre équatorial est de 77 250 km, son diamètre polaire ne fait que de 31 700 km : en conséquence de quoi, Mesklin ressemble à une boule très aplatie. Cela a aussi pour conséquence que la gravité y varie considérablement, suivant l’endroit où l’on se trouve. Au niveau de l’équateur, elle n’est que de 3 g ; aux pôles, elle monte jusqu’à 700 g. (Pour l’anecdote, l’auteur s’est rendu compte, tardivement, que ses calculs étaient erronés : au lieu de 700 g, la gravité polaire n’aurait dû être que de 250 g.)

Rajoutons à cela que Mesklin suit une orbite très elliptique autour de son étoile, et que la température moyenne n’y dépasse jamais 0° C. Aucune importance : la planète est recouverte de méthane, composé dont le point d’ébullition se situe assez bas (-161° C sous notre atmosphère). Du fait des paramètres orbitaux de l’astre (longs à détailler), seul l’hémisphère sud est habitable. Car Mesklin abrite la vie, et une vie intelligente qui plus est !

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La planète Mesklin

Les êtres intelligents peuplant Mesklin ressemblent à de gros mille-pattes, d’une cinquantaine de centimètres de long, qui ont atteint le stade d’espèce civilisée. Soit Barlennan, l’un des membres de cette race, le capitaine d’un navire marchand, le Bree.

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Un Mesklinien, par Wayne Barlowe
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Lorsque le roman débute, Barlennan est déjà en contact avec une expédition humaine, posée sur l’un des deux satellites naturels de Mesklin. Et les humains ont besoin de son aide : ils ont perdu une sonde au niveau du pôle, et seul les Meskliniens peuvent se rendre à cet endroit, où la gravité est intolérable. Il s’agira donc pour Barlennan et son équipage de traverser l’hémisphère sud, depuis l’équateur jusqu’au pôle ; en chemin, ils feront des rencontres plus ou moins hostiles, feront preuve d’ingéniosité et de bravoure pour franchir les obstacles (car sur Mesklin, avec une si forte gravité, la chute de n’importe quel objet s’avère dangereuse). Et Barlennan, s’il prend soin de complaire à ses amis humains, n’oublie pas qu’il est marchand et qu’il espère bien retirer quelque bénéfice de l’entreprise.

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La liste des défauts de L’Oeuf du dragon s’applique également à Question de poids – et, partant, à bon nombre de romans de hard science. Au-delà du formidable concept – la description de cette planète à l’énorme gravité –, il ne reste pas grand-chose à se mettre sous la dent. L’histoire n’est qu’un prétexte pour explorer Mesklin de haut en bas ; le contexte, tant du côté des humains que celui de l’équipage du Bree, est inexistant ; la faune et flore de la planète sont à peine esquissés ; les personnages humains sont falots et les Meskliniens ne valent guère mieux : pour la fascinante question de la xénopensée, il faudra repasser. Rien n’explique comment les humains ont procédé pour entrer en contact avec Barlennan (ni comment ils ont atteint Mesklin et y ont découvert de la vie). Quant au style, c’est pataud et la traduction pesante de Pierre Versins et Martine Renaud n’arrange rien, rendant les dialogues ampoulés voire proches du ridicule.

Mais Mesklin demeure, rendue crédible par le talent en la matière de Clement, et autorise à Question de poids de figurer parmi les classiques du genre. Rien d’étonnant, d’ailleurs, que le roman ait d’abord paru au sein de la collection « Ailleurs & Demain ».

Question de poids a connu des suites, sous la forme de romans et nouvelles, tous inédits en français. Quand ces suites ne se déroulent pas sur Mesklin, elles ont comme point commun de mettre en scène des mondes à forte gravité.

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Le premier de ces récits est Star Light (1971) : welcome back, Barlennan. Vingt ans après les événements de Question de poids, le Mesklinien est embauché par les Terriens pour explorer une planète à forte gravité, Dhrawn. On y retrouve un même environnement hostile, glacé, à base d’eau et d’ammoniac. Seule différence notable avec Mesklin : une journée y dure deux mois. Le convoi dirigé par le second de Barlennan, Dondragmer, subit un accident : la glace sur laquelle il circule rompt, précipitant les engins sous l’eau. Le temps presse. Humains et Meskliniens tentent de trouver des solutions pour sauver Dondragmer et son équipage. Mais Barlennan a peut-être un plan derrière la tête… Pour faire court, Star Light ressemble à Question de poids mais sur une autre planète, et reproduit les défauts du premier roman, le sense of wonder en moins. Long et ennuyeux, se focalisant sur des péripéties soporifiques, c’est là une suite dispensable (de la même que L’Œuf du dragon est affligé d’une suite inutile, Starquake). À noter que Star Light fait (ferait ?) intervenir des personnages issus d’un autre roman de Clement : Close to critical (1970), situé sur une planète à forte gravité, torride (370 °C !). Ces différents récits semblent d’ailleurs faire partie d’un univers développé de loin en loin par l’auteur.

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Parue dans une anthologie-hommage à John W. Campbell, « Lecture Demonstration » (1973) se déroule sur Mesklin. Les humains donnent des cours aux Meskliniens. Lors d’une démonstration, un astronaute chute au sol et se retrouve coincé en bas d’une pente. Comment remonter et regagner son appareil ? Il faudra que les cerveaux des Meskliniens et des humains turbinent… mais le récit peine à passionner. Près de trente ans après ce dernier texte, Hal Clement est revenu sur Mesklin avec « Under » (2000) : parue dans le numéro de janvier 2000 de la revue Analog, cette novella est par ailleurs l’un des derniers textes publiés de Clement. L’occasion d’y retrouver ce cher vieux Barlennan. On savait les Meskliniens frileux à l’idée de prendre de la hauteur ; les voici confrontés à une expérience les obligeant à passer en-dessous d’un obstacle. Cela m’embête de l’écrire, mais cette novella n’a pas grand intérêt. Clement reproduit une énième le même schéma narratif : des personnages en danger – il faut trouver une solution. Et… là encore, on s’en fiche un peu beaucoup en fait.

Hal Clement a des idées et sait créer des mondes étranges. Mais d’un point de vue romanesque, c’est… poussif. Si Question de poids a pour lui l’attrait de la nouveauté et du concept, les autres textes ne parviennent guère qu’à susciter un ennui incommensurable. Le style est plat, les personnages aussi, l’intrigue pareillement. D’une certaine manière, c’est raccord avec le concept : les mondes à forte gravité tels que dépeints par Clement n’ont que peu de relief, et les romans sont à l’avenant. Dommage.

Néanmoins, en dépit de ces défauts, on reste gré à Clement d'avoir créé de tels mondes et d'avoir initié une voie que Robert Forward (L'Œuf du dragon, donc), Stephen Baxter (Gravité) ou Greg Egan (Incandescence voire Orthogonal) ont emprunté avec un brio certain.

Introuvable : d’occasion
Illisible : mal traduit mais lisible tout de même
Inoubliable : oui

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