T comme Thorgal

L'Abécédaire |

On poursuit notre exploration des bandes dessinées adaptées sous forme musicale : après L'Horloger du rêve basé sur les Cités obscures de Schuiten et Peeters et Le Vaisseau de pierre où Tri Yann faisait de la BD de Christin et Bilal un opéra-rock, place à Thorgal… pour un résultat sans égal… et ça fait mal…

Thorgal, Éric Mouquet et Philippe Malempré (Le Lombard, 2000). 18 morceaux, 53 minutes.

Certaines entreprises semblent vouées au ridicule dès leur conception, et ne méritent pas qu’on les ressorte de l’oubli dans lequel elles sont bienheureusement tombées. Sauf que dans ce navrant Abécédaire, on apprécie plus que de raison exhumer ces trucs-là, quitte à se faire saigner les yeux. Ou les oreilles, dans le cas présent. Mais ne préjugeons de rien : on n’est nullement à l’abri d’une bonne surprise.

Précédemment dans l’Abécédaire, votre serviteur vous a entretenu de L’Horloger du rêve, bande-son signée Bruno Letort accompagant les expositions consacrées aux « Cités obscures » de Schuiten et Peeters, ainsi que du Vaisseau de pierre, l’opéra-rock de Tri Yann basé sur la bande dessinée éponyme de Bilal et Christin (votre serviteur ayant été biberonné à cet album lors de son enfance, son avis ne savait être objectif).

Et au tournant du siècle dernier, quelqu’un a eu l’idée de faire un album-concept dédié à Thorgal.

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Est-il besoin de rappeler qui est Thorgal, cet « enfant des étoiles », adopté par une tribu viking mais toujours en marge de la société, et n’aspirant à rien d’autre qu’à mener une vie tranquille avec la belle Aaricia et leurs enfants, Jolan et Louve ? Né en 1977 dans les pages du Journal de Tintin, il est le héros de plus d’une trentaine d’aventures, situées peu avant l’an 1000, l’ayant mené à travers le globe — principalement la Scandinavie, mais aussi le mystérieux Pays Qâ en Amérique centrale. Des aventures qui mêlent avec brio l’historico-fantaisiste avec un zeste de science-fiction.

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Je ne saurais dissimuler ma sympathie envers la série de Van Hamme et Rosinski, que j’ai suivie avec grand plaisir, avant de la lâcher lorsqu’elle a commencé à sombrer dans la médiocrité – je situerai cela à partir d’Arachnéa. Pour ma part, j’estime que le 23e album, La Cage, formait une jolie conclusion, certes assez ouverte mais ne nécessitant pas les développements ultérieurs. N’ayant pas lu les spin-offs, je ne saurais pas trop quoi en dire. Un article sur la série principale commis par votre serviteur figure d’ailleurs au sommaire du Bifrost hors-série BD & SF.

Thorgal, en plus de voyager à travers le monde, a également arpenté quelques supports autre que les albums de bandes dessinées. On peut citer ainsi trois adaptations en BDVD, sorte de BD animée et sonore, ancêtre des « motion comics» ; une adaptation en jeu vidéo, et donc Thorgal, l’album, donc, publié quand la série commençait à baisser en qualité (y a-t-il un lien ?). Une idée surprenante, mais bon… sait-on jamais, hé.

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Et ça commence assez mal, dès le morceau d’introduction, logiquement intitulé « Ouverture », bouillie musicale d’inspiration ambiant/celtique d’à peine trente secondes, qui cède vite la place à une deuxième bouillie musicale d’inspiration ethno-celtique chantée. On dirait du Manau (mais si, ceux de « La Tribu de Dana »…) feat. Mylène Farmer. C'est marrant, moi qui croyais que Thorgal, c'était la Scandinavie, je m'attendais à une ambiance un peu plus nordique. Et les paroles sont… Disons que les rimes font un peu vers de mirliton, avec le dico des rimes orales et écrites à portée de main (j'ai le même à la maison, gagné lors d'une édition des Dicos d'or, quelque part à la fin des années 90). Un échantillon :

« Guerrier sans égal, ton cœur est loyal

Assoiffé de justice, ton âme est féale

L'épée qui arme ton bras défend cet idéal

C'est pour ça que les vils tremblent au nom de Thorgal »

« Mon Bel Amour » est une ballade passablement mièvre, où Virginie Schaeffer chante l’amour indéfectible d’Aaricia pour Thorgal. Ça rime, mais c’est du niveau de votre petite sœur en classe de 4e :

«Mon amour

Mon aimant

je t'aime au delà des temps.

Mon ami

Mon aimé

je t'aime pour l'éternité. »

« Terre du nord » renoue avec la bouillie ethno-celtique, avec des soupçons d’Adiemus. Sans surprise, « Aaricia » est une nouvelle ballade, et puis soudain la chanson passe en anglais, parce que, hé, parce que. Et, entre deux références aux albums, c’est mièvre, encore une fois : « Love bring my love back to me. »

Suit un bref et anecdotique instrumental, « Oracle (Part I) ». « Louve » se pique d’une humeur primesautière pour évoquer la fille de Thorgal et Aaricia, capable de communiquer avec les animaux. Une voix niaiseuse, qui fait des « ouhouhouhouh ». C’est odieux. L’écouter donne envie de faire un massacre. C’est dommage, car l’album Louve est loin d'être le plus faible de la série.

« Oracle (Part II) » est la continuation de la bouillie de la « Part I ». En pire. Un peu d’opéra du côté des voix, des uilleann pipes, des voix « ethniques » qui évoquent tout sauf la Scandinavie. La suite du disque s’intéresse à un personnage marquant de la BD : « Kriss de Valnor (intro) » est un instrumental trop bref pour susciter l’intérêt. La chanson véritable, « Kriss de Valnor » tout court, commence par une autre intro : ses synthés menaçants lui donnent une ambiance gothique à la Hammer, c’est assez intéressant. La suite du morceau, bon, pas vraiment, à cause d’une voix manquant de caractère et des paroles pas à la hauteur. Seul le passage jungle gothique qui conclut la chanson possède un minimum d’intérêt.

« Shaïgan sans merci » lorgne du côté des « spoken words ». Sur un fond musical ambient inquiétant, une voix profonde et rocailleuse à souhait déclame une ode dédiée à Shaïgan sans merci, c’est-à-dire l’identité qu’acquiert Thorgal lorsque la déesse Frigg efface sa mémoire. Quelques effets sonores malvenus gâchent la chose, déjà que le narrateur en faisait un peu trop.

« Terre du Milieu » est un nouvel instrumental, qui s’inscrit dans la lignée des précédents : mélodie d’inspiration celtique, rythmique 90s, nappes de voix célestes, bruitages et arrangements qui en font trop. Suit « La Mémoire des vivants (part 1) », duo niais qui, avec un peu d’imagination, évoque le Ragnarok :

« Mais quand viendra enfin

La nuit des temps
Restera-t-il un seul combattant ?

Il n'y aura
Plus que l'eau et le vent

Pour célébrer la mémoire des vivants »

Le morceau se poursuit avec « La Mémoire des vivants (part 2) », qui se poursuit pendant une minute avec emphase et un chant en yaourt celtique. Et des fois que vous en auriez marre des arrangements celtiques, il y a « Les Elfes » et ses voix trafiquées au vocoder. Sérieux, on croirait écouter Plastic Bertrand. Au fait, il n’y a pas l’ombre de l’oreille pointue d’un d’elfe dans Thorgal, j'ai vérifié. Après quoi, on s’intéresse à « Jolan », où une voix suraigüe et compassée s’adresse au fils de Thorgal et Aaricia, doué de pouvoirs particuliers. Quelques références à l’album Alinoë parsèment la chanson – un album huis-clos pas mal du tout. « Rituels » est un instrumental, à l’ambiance mystique, porté par un violon aérien et une voix légèrement traficotée.

On termine avec le calvaire avec l’ambiance très new age de « Déesse Frigg» :

« Bienvenue, Thorgal, dans le jardin d’Asgard, où poussent les fleurs qui ne fânent jamais. »

Bref. L’ensemble, au fil de ses dix-huits morceaux, alterne chansons et instrumentaux, et constitue moins l’adaptation d’une aventure en particulier qu’une évocation des aventures de Thorgal au travers de ses personnages les plus marquants, avec une construction assez narrative.

Pour qui en veut encore une dose, voici un échantillon de vingt minutes :

Le problème de l’album Thorgal, c’est qu’il tombe dans les pires travers. Et tant qu’à faire, l’album les enfile tous : les arrangements électro qui sonnaient tellement bien dans les 90s (hé, peut-être que ça reviendra à la mode dans vingt ans), des chansons divisées en deux parties soigneusement titrées Part I et Part II, des variations dans le chant (duo, spoken words) qui ont tout l’air de passages obligés, un morceau en deux parties dont l’une est un court instrumental titré « intro » (ou, attention, l'inverse), du « too much » permanent dans le chant, des paroles assez faiblardes, parfois en anglais sans autre raison que de vouloir sonner cool. Surtout, ça ne véhicule rien : à titre de comparaison, Le Vaisseau de pierre de Tri Yann est lui aussi perclus de défauts, en premier lieu des paroles parfois pas terribles et trop démonstratives, des arrangements très datés, mais la BD de Bilal et Christin comme l’album possèdent un fond social plutôt pertinent pour l’époque (l’argent et l’action des promoteurs immobiliers détruisant le quotidien des petites gens). Certes, Thorgal n’est pas trahi dans le fond : les paroles présentent les personnages de la bande dessinée tels qu’ils sont, mais…

Bref. Ce disque Thorgal est pathétiquement nul. Je ne doute pas que ce disque ait été élaboré avec passion, mais bon, ça ne suffit pas pour lui accorder de la qualité.

Ne pas appuyer frénétiquement sur la touche « Skip » a représenté un intense effort pour votre serviteur, qui se répétait comme un mantra « Le monde a le droit de savoir. »

Maintenant que vous le savez, on peut passer à autre chose.

Introuvable : fort heureusement

Inécoutable : et comment !

Inoubliable : à sa manière

 

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