Le héros aux cent visages

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bm-une6.jpgLa présence de Bob Morane ne s’est pas restreinte au seul support du roman. Et nul doute que bon nombre de personnes ont découvert l’aventurier par la bande dessinée ou par les séries télé. Dans cette sixième partie du dossier Bob Morane, voici un bref tour d’horizon des adaptations des romans d’Henri Vernes dans différents médias, de la BD aux jeux vidéo… Sans oublier Bob Marone !

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Bob Morane, ça n’est pas seulement deux cent trente romans et nouvelles, c’est aussi quatre-vingts albums de BD, une série télévisée et une série animée, sans oublier des audiolivres, des jeux vidéos et des aventures dont vous êtes le héros… Et également Bob Marone, le double parodique de notre héros.

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Les bulles de Bob Morane

C’est en 1960, sept ans après sa prime apparition dans La Vallée infernale, que Bob Morane s’aventure hors des frontières du roman, avec la parution de la bande dessinée Bob Morane et l’oiseau de feu.

« Tout a commencé dès la fin des années 50. J’écrivais des histoires dessinées – qui n’étaient pas des Bob Morane – pour Femmes d’aujourd’hui et un jour la directrice de ce magazine m’a demandé « Pourquoi ne ferait-on pas Bob Morane en BD ? ». Et moi j’ai dit pourquoi pas ? Et c’est ainsi qu’est né Bob Morane en BD. » Henri Vernes in Bob Morane et moi… 50 ans d’aventure

 

1. Attanasio

bm-centvisages-bd-oiseaudefeu.jpgDe 1960 à 1964, Bob Morane est publié aux éditions Marabout. Les albums sont d’abord pré-publiés dans différents magazines (Femme d’aujourd’hui, Pilote, Tintin). Le dessinateur italo-belge Dino Attanasio, déjà responsable des illustrations intérieures des romans, va réaliser cinq aventures, inventives et échevelées, scénarisées par Henri Vernes himself, et qui seront toutes adaptées en romans quelques années plus tard.

Le style d’Attanasio, très proche de la ligne claire, a aujourd’hui sûrement beaucoup vieilli. Vernes, qui en a été vite lassé, met fin à leur collaboration. Cela n’empêchera pas le dessinateur de réaliser un ultime album en 1994, une adaptation de La Galère engloutie.

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2. Forton

bm-centvisages-bd-epee.jpgEn1964, Attanasio laisse la main à Gérald Forton, également illustrateur intérieur des romans. Forton va ainsi réaliser une douzaine de nouveaux albums, bien plus satisfaisants graphiquement que ceux de son prédécesseur. De son côté, Henri Vernes continue à produire des scénarios originaux. Mais ne tardera pas à les novéliser aussi quelques années plus tard.

Le coup de crayon de Forton est assuré, mais la mise en couleur, assez criarde, a mal vieilli. Et la manie de placer des bons mots lors des bagarres… hum.

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3. Vance !

Jeune, William Vance avait déjà pu se faire la main au studio d’Attanasio, où il a collaboré à la réalisation des albums Bob Morane contre la Terreur verte et Bob Morane et le Collier de Çiva. Après Forton, parti aux Etats-Unis, c’est lui qui s’occupe des BD Bob Morane, avec une maestria certaine. Meilleure gestion du noir et blanc, dessin plus expressif, mise en page moins scolaire : la période 1969-1980 est l’Âge d’or de Morane en BD. (L’auteur de ces lignes aura du mal à cacher sa grande sympathie pour les albums dessinés par Vance.)

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En 1975, Bob Morane quitte Dargaud pour le Lombard. Vance dessine encore quelques albums, avant de se consacrer, avec Jean Van Hamme, à un autre héros : XIII. On ne pourra s’empêcher de remarquer que Morane et Steve Rowland/Jason Fly/XIII ont des traits communs.

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4. Coria…

bm-centvisages-bd-wolf.jpgAssistant de William Vance, c’est Coria qui reprend la suite en 1980 et jusqu’à 2012. Ce dessinateur prolifique (une quarantaine d’albums… soit la moitié de la production moranesque en BD) alterne entre adaptations de romans anciens et plus récents : Sur la piste de Fawcett, paru en 2012, est la mise en image d’un roman de 1954. Malheureusement, la prolixité de Coria est probablement inverse à la qualité des BD. Le trait s’inspire de celui de Vance, sans parvenir à l’égaler ; il manque d’expressivité, fait parfois preuve de maladresses.

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5. Leclerq

bm-centvisages-bd-murailles.jpgLes Murailles d’Ananké et Les Périls d’Ananké, les deux premiers romans du cycle d’Ananké sont adaptés en 2004 en BD par Franck Leclerq (d’abord chez… Ananké puis aux éditions Miklo).

Comme Attanasio et Forton, Leclerq a aussi produit des illustrations intérieures. Néanmoins, son trait diffère totalement de celui de ses prédécesseurs, car très cartoon. Dans la lignée du dessin animé de 1998 (dont il sera question un peu plus loin), quoique avec plus de rondeurs. Si les illustrations noir et blanc de Leclerq dans les romans publiés par Ananké sont réussies, l’adaptation sur la longueur d’une BD est moins convaincante. L’aspect très rond du trait n’est pas forcément en adéquation avec le ton des romans, lui donne un cachet très (trop) jeunesse. Mais l’aventure façon Leclerq a tourné court : aucun troisième tome du cycle d’Ananké n’est paru.

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6. Armand, Brunschwig et Ducoudray

En 2012, le Lombard a annoncé un reboot de Bob Morane, mené par une nouvelle équipe : Luc Brunschwig et Aurélien Ducoudray au scénario, et Dimitri Armand aux pinceaux. Les esquisses d’intention publiées sur la page Facebook dudit reboot laissent entrevoir des personnages à l’apparence différant sensiblement des précédentes incarnations BD.

Afin de donner un coup de jeune à notre héros, les aventures s’ancreront dans l’époque actuelle – Morane n’ayant pas fait ses armes lors de la Seconde Guerre mondiale mais lors des conflits ethniques en Bosnie.

En somme, une remise à plat des aventures, avec un ton annoncé comme plus réaliste. Chose pas très éloignée des remises au goût du jour qu’ont connu au cinéma James Bond et Batman.

Le premier tome, provisoirement intitulé Les Terres rares, est prévu pour une parution début 2015. À suivre…

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*

 

Bob Morane crève l’écran

Si, sur le papier, le héros d’Henri Vernes ne goûte guère la célébrité et la médiatisation malgré ses nombreux faits d’arme, il a en revanche connu les joies d’aventures sur le petit écran.

 

1. La série TV

Diffusée en 1965 sur l’ORTF, la série télévisée Bob Morane a connu deux saisons de treize épisodes. Alternant entre adaptations de romans et scénarios inédits (dont certains ont été novélisés par la suite), elle a remporté un succès certain à son époque. Sa plus récente rediffusion remonte à 1989, sur ce qui était alors Antenne 2. Ce qui ne rajeunira personne.

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Les épisodes de cette série délicieusement surannée se laissent revoir sans déplaisir, avec la bienveillance que l’on peut ressentir pour les vieilleries. Bob Morane est incarné avec conviction et jovialité par Claude Titre, tandis que Billy Kearns fait de Bill Ballantine un side-kick un peu lourdaud (en accord avec le personnage décrit par Vernes dans l’Âge classique moranien ; l’Âge adulte le verra se stéréotyper en un véritable Hercule au parler argotique).

Les épisodes alternent entre épisodes originaux (qui seront parfois novélisés) ou adaptations de romans. Adaptions plus ou moins fidèles, suivant les modifications apportées aux romans en vue de diminuer le coût de production. De fait, dans cette série télé, la production manque clairement de moyens, les seconds rôles jouent souvent pas très bien, mais le charme, devenu désuet cinquante après, est toujours là…

Un extrait de l'épisode S01E12, "Les Semeurs de foudre"

 

2. La série animée

Trente-cinq après sa première apparition sur le petit écran, Bob Morane y revient, en dessin animé. Une nouvelle adaptation, qui a sûrement permis de faire découvrir Bob Morane à une jeune génération (qui l’est un peu moins, quinze ans après).

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Cette série animée comprend 26 épisodes de 23 minutes. Tous sont des adaptations, plus ou moins libres (surtout plus), des romans d’Henri Vernes, parmi les plus emblématiques : Opération Atlantide, Les Chasseurs de dinosaures, Le Mystérieux Docteur Xhatan, Commando Épouvante, L’Epée du Paladin, les meilleurs « Ombre jaune » et un mini-cycle de quatre épisodes dédié à Ananké. La plage choisie s’étale de l’Âge d’or à l’Âge adulte, et la série tente d’organiser les épisodes en un ensemble cohérent.

Qui dit adaptation dit changement par rapport au matériau original. Les épisodes sont menés tambour battant et condensent en moins d’une demi-heure des romans déjà très ramassés (le mini-cycle d’Ananké formant l’exception). Parfois, les modifications sont d’importance : La Vapeur du passé, roman se déroulant en Sibérie et oscillant entre SF et fantastique, devient un thriller en Amérique du sud. Les Dents du Tigre ne raconte plus une troisième guerre mondiale mais une simple chasse au yéti… La fin du cycle d’Ananké est chamboulé, pas vraiment pour le meilleur.

Les scénarios ne sont pas les seuls à connaître des divergences par rapport au matériau d’origine : c’est le cas aussi pour les personnages. Si Miss Ylang-Ylang garde son sex-appeal (à défaut de pouvoir sentir son parfum, sa présence à l’écran est annoncée par un saxophone langoureux), le vil Roman Orgonetz vire au fou psychopathe. Nicolas-Athanase Xhatan devient Joseph-Athanase Xhatan, mais armé de son rire (forcément) sardonique, reste désireux de conquérir le monde.

Un nouveau méchant récurrent intervient : Stagart, sorte de mix entre le Sangart du Secret de l’Antarctique (roman et épisode animé où il fait sa première apparition) et de l’Espion aux cent visages du roman éponyme, pour sa faculté à changer de face.

Avec ses synthés dramatiques, le générique hésite entre un symbolisme façon James Bond et quelque chose de plus classique. Quant à l’animation, elle n’a rien d’exceptionnel. Le dessin très anguleux des personnages ne fait pas l’unanimité.

Le générique international de la série animée…
… et le générique français.

Bob Morane, la série télé, se laisse regarder sans déplaisir, que l’on ait gardé son âme d’enfant de dix ans ou pas.

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Bob Morane fait son cinéma

Sur grand écran, le moins que l’on puisse dire est que Morane n’a pas la baraka.

Sa première incursion au cinéma remonte à 1960, avec une adaptation de L’Espion aux cent visages, avec Jacques Santi (futur interprète de Michel Tanguy dans la série Les Chevaliers du ciel) dans le rôle du héros. La première et seule projection a eu lieu en janvier 1961 à Bruxelles. Et l’unique exemplaire de la bobine du film a brûlé. Le film est donc entièrement perdu. Une suite était envisagée à l’époque, mais n’a jamais été tournée.

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Au début des années 2000, Christophe Gans avait le projet de porter Bob Morane sur grand écran. Le film aurait été titré L’Aventurier et aurait raconté la lutte du héros contre l’Ombre jaune, dans la Birmanie de 1959. Avec (selon les sources) Vincent Cassel ou Billy Crudup dans le rôle de l’aventurier, Ron Perlman dans celui de Bill Ballantine, Maggie Cheung en Tania Orloff… mais l’épidémie de SRAS a été la raison invoquée pour l’arrêt de la production, peu avant que le tournage commence en Chine. Par la suite, Christophe Gans a rebondi et réalisé Silent Hill.

Plus récemment, on a prêté aussi à Gans les projets d’adapter d’autres héros populaires : Rahan ou Fantômas… Projets restés sans suite, eux aussi.

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Autres médias

L’auteur de ces lignes n’ayant pas mis la main sur ces autres adaptations de Morane, on se bornera à signaler leur existence.

 

1. Livres audio

Les romans d’Henri Vernes ont également été adaptées sous forme d’audiolivres, sur disques 33 tours puis sur K7 et CD. Onze aventures ont ainsi été enregistrées, de la fin des années 50 jusqu'en 1993. Claude Titre et Billy Kearns ont de temps à autres prêté leur voix aux personnages.

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2. Les jeux vidéo

bm-centvisages-magazine.jpgEntre 1987 et 1988, dans la phase d’éclipse de Bob Morane, le héros a connu une brève existence dans un magazine, intitulé en toute logique… Bob Morane Magazine. Chacun des quatre numéros avait un thème globale (respectivement : chevalerie, jungle, espace et océan), et comprenait : un roman d’Henri Vernes (souvent légèrement tronqué), une bande dessinée sans rapport, un dossier thématique, une aventure inédite dont vous êtes le héros (par Pierre Rosenthal, journaliste à l’époque pour Casus Belli), et un jeu vidéo (pour Amiga ou Atari).

Réalisés par Infogrames, société spécialisée dans l’adaptation vidéoludique de BD franco-belges, les trois premiers jeux sont considérés comme mauvais, mais le dernier, une aventure subaquatique, a meilleure presse.

En fouinant dans les recoins du web, il est possible de retrouver la trace de ces jeux. Voire un émulateur permettant d’y rejouer.

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Les nombreux visages de l’Aventurier

Au fil des années, le visage de Bob Morane a évolué et changé.

 

1. Evolution

L’annonce de la parution de La Vallée infernale s’est faite dans un encart inséré dans un roman Marabout. Cet encart montre un jeune homme, presque un garçonnet. C’est là le premier visage de Morane, aux traits inspirés par un architecte suisse, René Emery, ami du directeur de publication des éditions Marabout, Jean-Jacques Schellens.

Les romans publiés en Marabout Junior ayant été pendant longtemps essentiellement illustrés par Pierre Joubert, c’est lui qui a imposé l’image de l’aventurier. La diffusion de la série télé au cours des années 60 oblige, par sa popularité, à modifier les traits du personnage en couverture : l’éphèbe de Joubert ressemble désormais à Claude Titre. (A noter que les illustrations intérieures d’Attanasio et Forton n’ont que peu de liens avec les couvertures.)

Pendant vingt ans, Joubert illustre ainsi Bob Morane, avant de céder la place, au début des années 70, à Henri Lievens et William Vance. L’époque y est propice : le héros perd sa coupe militaire et voit ses cheveux pousser (selon les couvertures).

Passé dans la Bibliothèque verte, Morane est illustré par Claude Goherel, dans la lignée de la bande dessinée. Les liens entre romans et BD continuent au fil des années : lorsque Bob Morane est repris au Fleuve Noir puis chez Lefrancq, c’est Coria qui illustre les couvertures. L’aventurier conserve les mêmes traits, et ne change guère lorsque Franck Leclerq, habitué des illustrations intérieures, prend la relève.

Cliquer sur l'image ci-dessous pour voir l'évolution du visage de Morane au fil des décennies.

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2. Quelques mots sur les couvertures

Les couvertures de Pierre Joubert ont tant et si bien forgé l’imagerie moraniennes au point que les rééditions reproduisent parfois les couvertures de Joubert, mais avec un nouvel illustrateur. La superbe gouache de La Vallée des brontosaures est reproduite quasiment à l’identique par Coria pour le Fleuve noir. Les différentes versions des Mangeurs d’âmes gardent les mêmes éléments.

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Par ailleurs, le même illustrateur peut revoir sa copie. Pierre Joubert a ainsi retouché la couverture d’une édition d’Opération Atlantide, postérieure à la série télé, montrant un Bob Morane plus conforme avec l’image donnée par Claude Titre.

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3. Morane pastiché

bm-centvisages-bobmarone1.jpgLa popularité d’un héros peut se mesurer aux pastiches et parodies qu’il est susceptible d’engendrer. Bob Morane a ainsi un alter ego parodique : Bob Marone, tour à tour héros de BD et de romans.

Créés par le scénariste Yann et le dessinateur Didier Conrad, Bob Marone et son ami Bill Gallantine sont apparus dans les magazines Spirou (Dupuis) et Circus (Glénat). Jouant sur la non-sexualité de Morane, Yann et Conrad font de Marone et Gallantine un couple d’homosexuels. Les aventures ont ensuite été collectées dans deux albums : Un parfum de yétis roses et Le Dinosaure blanc.

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Côté romanesque, un certain Raoul Vernes (pseudonyme collectif regroupant entre autres Rémy Gallart, Michel Pagel, Francis Saint-Martin ou Roland C. Wagner) publie dans la collection « Pocket Caribou » une série de novellas maronesque.

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Héros aux multiples visages, Bob Morane a réussi à avoir une carrière hors du seul cadre du roman, avec une réussite toute particulière dans le domaine de la BD : quatre-vingts albums sur six décennies et avec cinq dessinateurs… en attendant le reboot. Les adaptations télévisuelles ont elles aussi marqué leur époque, mais il est regrettable que Morane n’ait jamais réussi à gagner véritablement le grand écran. A l’heure actuelle, si aucune nouvelle adaptation télé n’est prévue, il n’est cependant pas à douter qu’une série serait le meilleur moyen pour faire regagner au héros d’Henri Vernes les faveurs d’un large public.

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