Journal d'un homme des bois, 15 février 2012

Journal d'un homme des bois |

valery-jhb-une.jpg« On continue de parler des civilisations et du fait de savoir si elles se valent ou pas. Que de mots pour ne rien dire ! Que de bruit bien inutile. Pour ma part, le problème est plutôt de savoir ce qui fait qu’un individu est "civilisé" ou qu’il ne l’est pas — et dans ce cas j’aurais tendance, pour le définir, à utiliser le mot "barbare". Le choix en somme serait : civilisation ou barbarie ; et cette problématique vaut pour toutes les sociétés humaines. »

On continue de parler des civilisations et du fait de savoir si elles se valent ou pas. Que de mots pour ne rien dire ! Que de bruit bien inutile. Pour ma part, le problème est plutôt de savoir ce qui fait qu’un individu est "civilisé" ou qu’il ne l’est pas — et dans ce cas j’aurais tendance, pour le définir, à utiliser le mot "barbare". Le choix en somme serait : civilisation ou barbarie ; et cette problématique vaut pour toutes les sociétés humaines. A mon sens, la ligne de partage s’établit quant à la notion de souffrance. Celle-ci est omniprésente et multiforme : il y a la souffrance physique, la souffrance psychologique, la souffrance morale… Elle concerne toutes les créatures dotées de conscience et plus particulièrement celles qui peuvent le moins se défendre : enfants, femmes, personnes âgées, animaux. La souffrance est le propre de toute créature dotée de conscience : je souffre donc je suis. Je pense que le civilisé est celui qui, par son comportement (ses actes, ses paroles, ses pensées) s’efforce de ne pas ajouter à la souffrance du monde – et s’emploie même à la réduire. A l’inverse, je pense que le barbare est celui qui inflige de la souffrance à autrui, de manière volontaire et en pleine conscience des conséquences de son comportement, ou pour le moins en se faisant complice, en tout état de connaissance, de celui qui inflige à autrui de la souffrance. Qui sont les barbares ? A nos yeux d’occidentaux supposés civilisés et mettant en avant la notion d’humanisme, il va de soi qu’une société qui pratique l’excision et/ou la lapidation – et pire : qui légitime ces actes au nom de la tradition – ne peut être qu’une civilisation de barbares. A d’autres yeux, une société comme la nôtre qui utilise l’image du corps dénudé d’une femme pour vendre des yaourts et qui laisse mourir des gens dans la rue sera tout autant une société de barbares – ces deux exemples paraîtront sans doute sans commune mesure mais leur relativisme en matière de gravité n’en est pas moins purement culturel : tenter le point de l’autre est un exercice profitable. Ce n’est pas un secret : je me définis comme un biocentriste et non comme un humaniste – je ne fais pas de hiérarchie entre les formes de vie : chacune a son rôle et son importance, sa nécessité, sa place sur le chemin de l’Eveil. Aussi – et au risque de susciter l’incompréhension en prenant un exemple trivial – le fait d’acheter et de consommer des œufs de poules élevées en batteries concentrationnaires, comme de simples mécaniques productives, est un acte de complicité qui justifie une barbarie insupportable. Et que dire de la corrida ou du massacre des palombes ? Si ce n’est que le recours à la tradition comme posture légitimante ajoute une dose d’abjection à la barbarie – on peut être à la fois un barbare et un con ordinaire. Dans ce contexte et pour le plaisir de défendre une position inverse à celle décrite dans mon billet d’il y a quelques jours : oui, la plupart des sociétés, de fait, se valent puisqu’elles ont en commun de s’illusionner sur leur état de civilisation et de légitimer, d’une manière ou d’une autre, leur barbarie tout en stigmatisant celle des autres.

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