Vorkosigan !

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vorkosigan-uneEn octobre, le plus débrouillard des nabots de ce coin-ci de la Galaxie a refait son apparition sur les tables des libraires, avec la sortie simultanée en Nouveaux Millénaires (J’ai Lu) du premier volume de l’intégrale de la saga Vorkosigan et de Cryoburn, dernier opus en date de l’ensemble. À cette occasion, le blog Bifrost vous propose de découvrir un avis sur l’imposante série de Lois McMaster Bujold, moins analyse critique détaillée qu’hommage de fan à l’univers de Barrayar.

"It's prob'ly nurture, not nature, y'know." 
« C’est sûrement de l’acquis, pas de l’innée, vous savez. » 
(Miles Vorkosigan, Diplomatic Immunity

Ce que vous trouverez dans le cycle Vorkosigan ? C’est simple… « Du combat. De la torture. Du poison. Le grand amour. La haine. La vengeance. Des géants. Des chasseurs. Des méchants. Des hommes bons. Des dames plus belles que tout. Des bêtes de toutes natures et de toutes formes. Des lâches. Des hommes forts. Des poursuites. Des évasions. Des mensonges. Des vérités. La passion. Des miracles. » 

Cet emprunt au discours du père de William Goldman dans The Princess Bride est plus que jamais d’actualité dans cette présentation de l’œuvre de l’américaine Loïs McMaster Bujold, à l’occasion de sa réédition en France : en effet, il en décrit parfaitement le contenu, il lui rend mieux hommage que tout ce que je pourrais en dire et enfin… il fait écho aux circonstances de ma découverte de cette saga il y a bientôt dix ans, sur les conseils de mon propre père – à qui je dois mon amour inconditionnel de la science-fiction. 
Et ça tombe bien, cette notion de transmission de la passion – ces gènes que l'on acquiert après sa naissance – constitue l'un des thèmes fondamentaux de l'immense saga de Loïs McMaster Bujold. D’ailleurs, l'écrivaine n'hésite pas à confier que sa fascination pour le monde militaire – autre thème majeur du cycle – lui a été insufflée par son propre père, soldat de carrière. Miles Vorkosigan en sait quelque chose, on n’échappe pas à son héritage. 

Mon père, donc, qui confiait régulièrement à mon frère et moi ses dernières trouvailles en matière de science-fiction, est arrivé un jour avec un livre de la collection J’ai Lu SF intitulé Cordelia Vorkosigan. (il avait lui-même découvert la saga via un article publié dans un Bifrost ou un Galaxies, revues par lesquelles passent encore aujourd’hui une grande part de sa prospection littéraire). 

C’était – je l’ai dit – il y a près de dix ans donc je paraphrase mais il nous a déclaré en gros « Oui, c'est un des plus grands cycles de SF américains, l’un des seuls à avoir obtenu autant de prix Hugo et Nebula. Par contre c'est le bordel, chronologiquement. Genre celui-là (Cordelia Vorkosigan ou L’Honneur de Cordelia dans la nouvelle traduction), c'est le troisième qu'elle a publié, mais il se déroule avant le premier, donc chronologiquement en fait, c’est quand même le premier. » 

Cet avertissement starwarsien posé, je plongeai tête la première dans la lecture dudit cycle, sans savoir encore où je mettais les pieds (et ignorant d’ailleurs l’existence d’un tome se déroulant plusieurs siècles avant celui par lequel je débutais : Chute libre, qui ouvre comme il se doit l’anthologie sortie cette semaine). 

Je n’en suis toujours pas revenu, et la parution cette année du dernier tome de la saga, Cryoburn a achevé ma conversion à un culte pour lequel je ne cesse plus de prêcher. 

Il faut dire que la saga Vorkosigan porte bien son qualificatif de « saga », tant elle s’attache explorer les moindres recoins de son intrigue et de son univers, quitte à s’étaler généreusement dans l’espace et le temps. Pour mettre les choses en perspectives, nous parlons ici d’un cycle dont le personnage principal n’est toujours pas né au début du troisième tome. Et ce qui justifie cette ampleur, c’est avant tout une physionomie de poupée russe, avec quatre immenses « personnages principaux » qui s’emboîtent les uns dans les autres. 

Le premier grand personnage du cycle c’est son univers, d’une cohérence et d’une richesse rarement égalées. Plusieurs siècles dans le futur, l’humanité a peuplé de nombreux systèmes stellaires grâce à l’utilisation de « points de sauts » Les sociétés qui peuplent ces nouvelles planètes sont variées et ont toutes des philosophies différentes, liées à l’héritage culturel de leurs premiers colons et aux aléas de leur Histoire propre. Pas d’aliens, pas de magie, pas de voyage temporel, juste des humains aux travers amplifiés par un petit millénaire d’Histoire supplémentaire. Et des Betans démocrates et scientifiques aux marchands / truands de l’ensemble de Jackson en passant par les Cetagandans obsédés par l’eugénisme, il y en a pour tous les goûts. L’univers décrit dans cette saga a d’ailleurs un rôle si important que son auteur n’hésite pas à abandonner ses personnages principaux, voir sa temporalité principale le temps d’un roman entier pour en dépeindre une facette particulière (voir Ethan d’Athos et sa planète exclusivement peuplée d’hommes ou Chute Libre et sa race d’humains à quatre bras conçus pour travailler en apesanteur). 

Au sein de cet univers se trouve un autre personnage principal : la planète Barrayar. Colonisée par 50 000 russes, grecs, anglais et français, cette planète s’est vue coupée pendant plusieurs siècles du reste de l’humanité, lors de la disparition de son point de saut. « L’ère de l’Isolation », plusieurs siècles critiques durant lesquels les colons – coupés de la civilisation et de sa technologie – ont mis en place une société comparable au moyen-âge féodal, basé sur des castes militaires. Barrayar est donc avant tout une planètes de soldats, agitées par de nombreuses guerres intestines durant la période de l’Isolation, puis d’une longue guerre contre les expansionnistes Cetagandan cherchant à annexer Barrayar depuis qu’un nouveau point de saut a été découvert et relie à nouveau la planète au reste de l’humanité. Cette fracture entre le mode de vie archaïque d’une société totalitariste et impérialiste et son retour à une civilisation futuriste est l’une des caractéristiques principales de la planète et un autre thème majeur du cycle. 

Sur Barrayar, le lecteur découvre et observe l’évolution du troisième personnage majeur de la série : la famille Vorkosigan. Une famille déchirée par les guerres, percluse d’honneur militaire (le type d’honneur le plus honorable qui soit, sur cette planète) et dotée d’une influence politique considérable. Une famille ancrée dans ses traditions, qui pourtant se verra porter l’étendard de profonds changements sociaux sur un monde aux mœurs archaïques. Et surtout une famille profondément humaine, dans les schémas de laquelle on s’identifie immédiatement. 

Et au sein de cette famille, on retrouve le plus principal des personnages la saga, le plus grand des nabots, le plus attachant des schizophrènes : Miles (Naismith) Vorkosigan. 

Miles est si central que la chronologie récapitulative située en fin de chaque roman s'intitule "Miles, son univers et son époque" et ce, qu'elle relate des faits le concernant directement ou non. Miles Vorkosigan est un personnage fascinant parce qu'à la manière d'un Frodo Baggins, d’un Ender Wiggin ou d'un Tyrion Lannister, c'est un nain / nabot / simili-mutant né au mauvais endroit, au mauvais moment et confronté aux pires obstacles. En effet, dans un univers hostile, sur une planète qui considère la moindre malformation comme une tare inacceptable, au sein d'une famille pétrie d'honneur militaire, naître petit, fragile et tordue n'est pas une mince affaire... À moins de développer rapidement un optimisme maladif et une intelligence terrifiante. 

S'ensuivent de nombreuses aventures, Miles contre l'univers, David contre Goliath, un tableau connu des geeks amateurs de science-fiction (moins sportifs et plus réfléchis que la moyenne), dans lequel nous prendrons toujours un malin plaisir à nous investir, certes... Mais un tableau réalisé de main de maîtresse ! J’évoquais plus tôt le nain Tyrion Lannister, bien connu des amateurs de G. R. R. Martin (et plus célèbre que jamais depuis l'adaptation en série du roman A Game of Thrones par HBO), avec lequel Miles partage de nombreux points communs, alors si vous êtes familier du personnage figurez-vous un cycle encore plus long que la célèbre fresque de fantasy anglo-saxonne, presque totalement centrée sur une version de Tyrion survoltée, légèrement moins sociopathe mais complètement dévorée par l'ambition… et vous aurez un assez bon aperçu des attraits de la saga Vorkosigan. 

Et si nous avons jusqu’ici parlé des thèmes majeurs abordés tout au long du cycle (l’héritage, le monde militaire, le clash entre deux ères, la lutte pour trouver sa place dans un univers hostile) nous n'avons pas encore évoqué le(s) Genre(s) de la série, ainsi les petits éléments qui en font tout le charme. 

Pour résumer, durant sa première moitié, le cycle Vorkosigan est une saga de Space Opera, mâtinée d'enquêtes policières et dans sa seconde moitié, une série d'enquêtes policières sur fond de Space Opera : Les enquêtes prennent une place plus importante vers la fin, donc, et ce simplement parce que le rythme lui-même mûrit avec le personnage principal et que, passé un certain âge, on arrête de slalomer entre les grenades si on tient un tant soit peu à la vie. 

Cependant, ces deux grands genres se mêlent souvent à de nombreux sous-genre et nous avons droit dans le désordre à des études de mœurs, du vaudeville burlesque, de l’analyse psychiatrique, des romans d’amour poignants ou encore d’exaltants thrillers géopolitique (enfin spatiopolitique). Loïs McMaster Bujold jongle entre les registres sans le moindre effort, tel un papillon infernal, elle butine ce qu'elle veut et où elle veut dans son cosmos. Comme une marionnettiste qui nous ferait à sa guise rire, pleurer, frémir et célébrer les petits succès ainsi que les grandes victoires de ses protagonistes. 

Mais en fin de compte, la plus grande qualité de cette œuvre c’est peut-être encore sa candeur, sa rafraichissante humilité. À la manière d’un Stephen King, Loïs McMaster Bujold écrit pour nous étourdir, nous inviter dans son monde, nous raconter une histoire et nous faire trembler pour ses personnages avec un style simple, efficace, sans détours. Ce qui pourrait donner à certain des scrupules, un côté « plaisir coupable » à la lecture, et peut-être même une dimension « pulp » à cette série d’ouvrages, est ici parfaitement assumé, voir revendiqué. Pas de longueur, pas de description naturaliste sans fin, pas d’effets de manche. Après tout, l’auteur a fait ses débuts dans les sphères d’écriture de « fan-fiction », et cet amour des histoires et de la SF se manifeste tout au long de son cycle, se ressent de plein fouet. 

Des sujets singulièrement contemporains sont abordés au cours de certains tomes et il y a de multiples réflexions sur notre propre société, mais l’intention première de la plume n’est pas là. Bujold cherche avant tout à nous emporter, à nous faire entrevoir des situations haletantes et des mondes fascinants durant quelques dizaines d’heures bénies. Et plus que tout, à nous donner l’impression de nous être fait de nouveaux « amis » une fois ses livres refermés, un peu à la manière de ces longues séries télés aux personnages si attachants. Et de ce point de vue, la réussite est totale.

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